La dernière échappée #4 Imaginez un instant qu'il n'y en aurait plus qu'une, une seule sortie.
Un seul jour, un dernier chapitre, un dernier tour. De tous les kilomètres parcourus et de toutes les routes montées, qu'est-ce qui vous ramènerait à en faire l'expérience, une toute dernière fois?VENTOUX ET VINEx-pro, Eurosport Pundit // @nicolas_fritsch
Une dernière balade sur mon vélo serait nécessairement un peu triste, mélancolique donc, nostalgique par anticipation en fait, mais choisir la fin plutôt que la subir est un bonheur, une chance… et autant qu’elle soit belle cette fin !
Le cyclisme a ceci de beau pour moi, qu’à la pure performance physique et athlétique il y ajoute une notion d’aventure quand il s’agit d’affronter les éléments. Seul ou contre, bien souvent, mais pas toujours et c’est en cela qu’il est également beau, pour ces moments de partage qu’il sait offrir, pour ces liens forts qu’il sait nouer.
Alors si je devais partir avec et sur mon vélo, une dernière fois, ce serait en le chargeant dans le coffre de ma voiture, avec un pote ou deux, plus d’autres potes que l’on retrouverait sur place, au lieu de rendez-vous, à quelques kilomètres du pied du Mont Ventoux. Ni trop près, ni trop loin. À Beaumes-de-Venise par exemple.
Évidemment ce serait en été et il ferait 30 degrés, casquette à l’envers déjà enfoncée dans la voiture, dans un mélange d’excitation et d’anxiété, musique à fond et gouttes de sueur qui perlent.
Et on se marrerait durant ces 15 kilomètres d’échauffement (mais en avons-nous besoin ?) à travers les vignes et les arbres fruitiers. On se marrerait mais on saurait, tous, qu’une montagne, une vraie, se dresserait bientôt devant nous. Difficile de ne pas la voir, sauf à chercher à la fuir du regard.
Aussi, à mesure que Bédoin approcherait le silence s’imposerait, et l’aventure athlétique succèderait à la camaraderie ambulante d’hommes plus tout jeunes.
Je n’ai jamais tant aimé qu’être seul dans la montagne, tel Fausto Coppi, l’uomo solo al comando, ou, plus près de nous, Marco Pantani. Et je voudrais revivre une dernière fois cette sensation, ce geste simple au fond, mais qui remet l’Homme à sa juste place, celle d’explorateur, dans un monde où tout semble avoir été exploré.
Pédaler, c’est aussi méditer en mouvement, et nul besoin de livres, de méthodes, de gourous, et de marketing. C’est simple et naturel, à défaut d’être facile.
Le Mont Ventoux mieux que tout autre ascension, parce que j’y ai vu la température drastiquement chuter, parce que j’y ai vu la température étonnamment grimper, parce que j’y ai vu le vent m’obliger à descendre du vélo, parce que j’y ai vu les éclairs s’abattre avec force, parce que j’y ai tout vu et son contraire en fait, mais également parce que je ne sais pas, au fond, le Mont Ventoux, donc, serait la scène sur laquelle je voudrais mourir « cyclistiquement ».
Mais, dit-on, le bonheur ne vaut que s’il est partagé, et c’est tellement vrai, alors il va de soit que l’on se retrouverait, tous autant que nous partîmes, en bas de la descente, à Malaucène peut-être, au soleil pour sûr, autour d’une de ces fontaines qui font le bonheur des cyclistes assoiffés et asséchés.
Et si ce devait vraiment être la dernière, la der de der, elle se poursuivrait par-delà les Dentelles de Montmirail, et, plus tard, en juste et noble récompense, par-delà la dégustation de ce que cette terre offre de meilleur, ce vin dont le pourcentage est encore supérieur aux rampes les plus abruptes du Géant qui en domine les meilleurs domaines, parce qu’il n’y a pas que le vélo dans la vie…L'ART DE LA FUGUEAuteur & Âme de cycliste // @francois_paoletti
Ronde de 280 km autour des Monts de l’Espinouse. « Que l’ai va lo fa », soit « celui qui y va le fait ».
Je ne me souviens pas où j’ai trouvé ce proverbe occitan, mais j’y suis allé un jour du mois de juillet et j’y retournerai encore. Le temps d’une longue journée, je roulerai sur les orteils du Massif-Central. Je longerai la ligne de partage des eaux, entre Atlantique et Méditerranée. Seul, sans doute. Et je remplirai les poches de ma mémoire de quelques objets cueillis à la volée.
La nuit, la route nous appartient et mon plus beau voyage commence sous les étoiles, avant l’apparition des premières particules d’aurore. On dit que la nuit est silencieuse, mais le silence n’existe pas, heureusement. Elle a ses chants, il nous faut simplement les réapprendre. Pour ça, les grillons font de bons compagnons.
Mon voyage tourne le dos à la mer. Les vignes de Faugères. Le col des Treize-vents et celui de la Croix de Mounis. Le massif de l’Espinouse au tout petit matin. Pendant que le bleu passe au vert, les kilomètres dessinent une ligne de fuite sur l’écran de mon GPS.
L’Hérault s’arrête ici où l’Aveyron commence, un jour quelqu’un l’a décidé ainsi. Les bornes posées au bord de la route sont le témoin d’un autre temps, quand le département fixait un horizon pour la plupart des gens.
Le ciel voilé, il fait presque frais. C’est toujours mieux que la canicule. Je remonte la fermeture de mon maillot, protection illusoire, le temps que les rayons du soleil réussissent à percer. Les mouches et les habitués se sont donné rendez-vous dans ce café sur la place de Lacaune. Nos délicatesses citadines chassent les mouches et les mauvaises odeurs. La preuve, mon odorat s’est enfui, je ne sais plus très bien quand. Le café n’est pas bon, qu’importe. Ce n’est pas lui que je suis venu chercher mais la fuite.
Remonter en selle, rouler et dérouler les heures, la vie ramenée à l’essentiel : boire, manger, boire, photographier, boire, manger. Je n’ai qu’à pédaler et suivre la flèche sur l’écran, en me réjouissant que le gravel soit un vélo confortable quand la route se déguise en chemin.
Je suis ici chez moi, sans aucun chauvinisme. D’autres préfèrent les Alpes, à chacun son domaine, mais on m’a appris le vélo sur ces montagnes moyennes, où les voitures et les gens sont rares et de modèles anciens.
La fatigue fait son travail de sape aux creux des cuisses et dans les reins. Je connais les règles et sa manière de jouer au yoyo avec moi. Le cerveau divague. Dans le département du Tarn, je songe à Jalabert, forcément. On pense à beaucoup de choses sur un vélo, beaucoup à rien aussi.
Les touristes ont leurs plages, les nôtres sont faites d’ennui, de fulgurances aussi, dopées aux endorphines. On voudrait les noter pour un article ou pour un livre, ne pas les oublier mais il faudrait s’arrêter. Écrire ou rouler, le dilemme est toujours difficile.
Mon parcours idéal inclurait une courte sieste vers le milieu de l’après midi. Quelques minutes à peine, à l’ombre des frondaisons. Quelques minutes, sans rendre de comptes à personne. Quelques minutes précieuses de récupération.UNE AFFAIRE AZURÉENNELe Barbu // @fredericgiovagnini
6H00. Il fait encore nuit, l’obscurité est toujours présente et enveloppante sur le parking de la maison. Quand je sors mon vélo du garage tout le monde dort bien au chaud. Je vérifie une dernière fois mon matériel avant d’enfourcher mon vélo pour effectuer « La Dernière Échappée ». J’ai choisi pour cela de suivre la route du bord de mer en direction de l’Est pour partir à la rencontre du soleil.
J’ajuste machinalement mon casque, positionne mes lunettes, allume mon compteur, réajuste le faisceau lumineux qui va me servir de guide durant la première heure de route en attendant l’arrivée du soleil qui pointera le bout de son nez au-dessus de la mer. En posant mon pied sur la pédale pour l'enclencher, je me retourne une dernière fois comme si quelque chose ou quelqu’un voudrait m’empêcher de partir.
Les premiers kilomètres me donnent l’impression d’être aspiré par un trou noir. Le calme autour de moi amplifie le cliquetis de la chaîne qui passe et repasse tel une horloge et les changements de vitesse rythment les montées et descentes.
Le halo de l’éclairage avant fait apparaître et disparaître des formes étranges autour de moi et le goudron de la route est littéralement avalé par ma roue avant. J’ai le sentiment et le bonheur de faire corps avec mon vélo et d’être seul au monde. Même si je connais cette route du bord de mer sur le bout des doigts, elle semble si différente ce matin, presque inconnue et virage après virage j’ai l’impression de la découvrir pour la toute première fois.
Petit à petit l’obscurité disparaît et je découvre une clarté naissante à l’horizon, une certaine excitation m’envahit car bientôt le soleil sera là devant moi sûrement au détour d’un virage, et je verrai ce magnifique spectacle une dernière fois. Du coup le rythme s’accélère, mes jambes tournent encore plus vite, mon pédalage devient plus intense comme si j’avais un peloton à mes trousses qui voudrait me rattraper avant la ligne d’arrivée.
Et la magie est de nouveau au rendez-vous, majestueusement le soleil pointe ses premiers rayons comme pour me souhaiter une bonne route. La récompense pour tous ces kilomètres effectués depuis des années. Je ressens la chaleur sur mon visage et j’ai l’impression que chaque mouvement de mes jambes ne fait que l’accentuer. Je coupe mon éclairage. Je ne suis plus seul maintenant, au fil des kilomètres la vie reprend son cours autour de moi.
Je commence à croiser des véhicules, en traversant les villages des gens déambulent le long de la route comme pour m’indiquer le chemin à suivre, je fais un geste de la tête pour les saluer. Les kilomètres défilent, je regarde furtivement les informations de mon compteur, sûrement pour me rassurer, savoir peut-être si je suis capable d’accomplir ce dernier parcours. Les accélérations et freinages me sont indiqués par la route qui se dessine devant moi. Je profite de chaque instant et je contemple le paysage qui change.
Mais inlassablement le bandeau noir qui s’ouvre me rapproche de l’arrivée. Du moment où je vais passer une dernière fois le portail de la maison, de l’instant fatidique où je vais raccrocher mon vélo pour la dernière fois. J’aurais dû freiner un peu plus ou peut-être prendre une autre route au dernier croisement pour ne pas revenir si vite. Malheureusement le portail est devant moi est la fin est proche. Je ralentis, j’immobilise mon vélo devant le perron de la maison. Un sentiment bizarre m’envahit, un mélange de joie et de frustration.
J’appuie une dernière fois sur le stop du compteur pour immortaliser cette dernière échappée. Un signal sonore m’indique que l’action a bien fonctionné et que le parcours est en cours de chargement. Mais le signal retentit toujours et de plus en plus fort. Je sors de mon sommeil, ce n’était qu’un mauvais rêve et c’est l’heure de se préparer pour aller rouler avec les copains sur nos belles routes et cols de la Côte d’Azur.
Cette dernière échappée n’est pas encore pour aujourd’hui fort heureusement. Il reste encore tant de routes à découvrir.