Les Courses Disparues #4 : Grand Prix de Cannes

Seulement 34 km séparent le Palais des festivals de Cannes du col de l’Ecre. Ou comment prendre 1 118 m de hauteur en un battement d’aile.

Mais il vous faudra quelques battements de cœur supplémentaires pour grimper ce col comme le montaient les coureurs du Grand Prix de Cannes, l’une des fameuses Courses disparues.

Des grands noms du cyclisme ont remporté cette course disparue, du « Roi René Vietto » à Louison Bobet, en passant par Rudi Altig, Frans Verbeeck, Sean Kelly, Sean Yates ou encore Laurent Fignon.

Les Courses Disparues #4 : Grand Prix de Cannes

Cannes tire sa renommée des grandes villas Belle Époque du XXème, de ses plages ensoleillées et de son tapis rouge. Tout comme le Festival, c’est aussi du cadre magnifique et des étoiles de passage que cette course a puisé partie de sa notoriété.

Étant donné le lieu, cette course aurait dû être pour les sprinters. Mais il n’en était rien : Sean Kelly et le rouleur Sean Yates sont tous les deux montés sur la plus haute marche du podium. Yates n’a toutefois réussi sa prouesse qu’après un hiver d’exil dans un appartement où la nourriture était proscrite !

Avec son parcours sinueux, ses pics pointus, et des distances pouvant atteindre 200 km, cette course avait tout d’une classique – de belles montées en prime.

Les Courses Disparues #4 : Grand Prix de Cannes

À ses débuts, la course s’est orientée vers l’ouest, sur la corniche d’Or, avant de retourner aux collines et rochers ocres du massif de l’Estérel. Les coureurs faisaient ensuite un petit détour par la Croisette pour saluer les fans, avant de prendre la direction d’Antibes et de monter jusqu’à Vence, puis jusqu’à Gourdon, juste en dessous de la limite des neiges.

Il était ensuite temps de redescendre vers la ville, parfois en passant par la montée de Cabris pour laisser l’opportunité aux coureurs échappés de garder leur avance.

Les Courses Disparues #4 : Grand Prix de Cannes

Cette course était importante dans le calendrier car elle clôturait la semaine de course d’ouverture sur la Côte d’Azur.

Les professionnels se trouvaient déjà sur la côte depuis deux mois, voire plus, et avaient terminé leurs blocs d’entraînement sous le soleil hivernal, au bord de la mer ou dans les collines de l’arrière-pays. Il était alors temps de peaufiner ses performances en conditions réelles, avant que ne débutent les classiques du printemps ou les premières courses, comme le Paris-Nice.

Les Courses Disparues #4 : Grand Prix de Cannes

Bien que la Boucle de Sospel et le Col de Braus furent les terrains d’entraînement les plus réputés de René Vietto pendant sa carrière, le GP de Cannes restera sa course maison. C’est lui qui, sans surprise, détient le record de victoires. Il a tout d’abord remporté les éditions de 1932 et 1933 alors qu’il faisait ses débuts sur le circuit professionnel.

C’est ensuite après guerre, vers la fin de sa carrière et après avoir déjà ouvert un magasin de cycles en ville, que le Cannois se lança une dernière fois dans l’aventure. Étant donné qu’il avait participé à l’élaboration du tracé de cette édition de 1948, tout le monde, des organisateurs au commissaire de course en passant par les simples badauds, espéraient bien assister à son moment de gloire.

Les Courses Disparues #4 : Grand Prix de Cannes

Mais c’était sans compter sur le grimpeur italien Paul Néri. Celui-ci avait remporté l’édition de 1946 et décida cette fois d’attaquer au col de Gourdon.

Il obligea René Vietto et son compatriote Édouard Fachleitner à partir à sa poursuite. Ceux-ci le rattrapèrent juste avant la descente épique de Grasse à Cannes.

Alors qu’ils étaient au coude à coude pour rejoindre la ligne d’arrivée, Néri, meilleur sprinter, tenta de prendre Vietto par surprise en se faufilant par un étroit couloir sur sa gauche, vociférant au Français de s’écarter de son chemin. Vietto n’allait bien évidemment pas laisser son dernier Grand Prix de Cannes lui filer entre les jambes et réussit à évincer Néri en se rabattant, pour remporter la victoire. René Vietto se mit hors de lui lorsqu’il vit Paul Néri porter réclamation.

Il fallut l’intervention de l’entourage de Vietto pour éviter une bagarre. C’était la course de René, et de personne d'autre.

Les Courses Disparues #4 : Grand Prix de Cannes

Il est des courses qui se jouent avant même que le départ ne soit donné.

Les courses sont nombreuses pendant les mois de février et de mars. À l’époque, beaucoup de coureurs se demandaient qui allaient participer à cette course. D’autant plus que le temps, toujours imprévisible à cette époque de l’année, pouvait entamer la forme de chacun et compliquer la suite de la saison. La période était donc propice aux stratagèmes, et ce avant même que le premier coup de pédale ne soit donné. En 1964, le Grand Prix de Cannes fut le cadre d’une véritable bataille entre deux géants du cyclisme français.

Jacques Anquetil et Raymond Poulidor décidèrent tous les deux de ne pas courir le Prix de Saint-Raphaël la veille du GP de Cannes car il faisait froid et la pluie était verglaçante. Poulidor était surmotivé : « Je suis solide et dur au mal » – rien à redire à cela, étant donné qu’il avait fini second lors de l’édition précédente !

Les Courses Disparues #4 : Grand Prix de Cannes

Pour Anquetil, si le mauvais temps s’installait, il était clair qu’il n’allait pas mettre sa saison en danger pour une seule course. Il était pourtant très en forme : ses soigneurs avaient affirmé qu’il était lui aussi solide et qu’il récupérait mieux que jamais. Serait-ce encore le théâtre d'une seconde place pour PouPou ?

Les Courses Disparues #4 : Grand Prix de Cannes

Puis vint le jour de la course. Anquetil resta tranquille, enfoui au milieu du peloton pour se prémunir d’un éventuel mauvais temps. Poulidor, lui, était très actif. Il attaqua au 35ème kilomètre dans la côte de Cabris, une tactique à laquelle rechignaient les coureurs locaux : Raoul Rémy cria à Louison Bobet en 1954 que « personne n'a jamais gagné le GP de Cannes en attaquant si tôt ».

Les Courses Disparues #4 : Grand Prix de Cannes

Anquetil le laissa partir. Jeannine Anquetil tenait la voiture prête au cas où son mari eut décidé d’abandonner. De l’importance de bien préparer sa course...

Poulidor est arrivé seul en tête, confirmant ainsi qu’il était plus en forme que jamais et affirmant à qui voulait bien l’entendre que dans un duel en montée, il pouvait battre Maître Jacques. Et qu’en pensait-il, Jacques ? « La saison est longue, très longue. Nous aurons tout le temps de nous mesurer l’un à l’autre, Raymond et moi. » Ce fut bien le cas, et pas seulement pour cette saison.

Les Courses Disparues #4 : Grand Prix de Cannes

Le Grand Prix de Cannes, du fait qu’il était organisé sur une journée et en début de saison, attirait les grands noms du cyclisme comme les plus jeunes professionnels.

C’est peut-être pour cela qu’il perdura jusque dans les années 1980 et 1990. Il prit de plus en plus d’importance et attira jusqu’aux plus grandes équipes comme Renault-Elf et leur toute dernière recrue... Laurent Fignon.

Selon ses propres termes : « J’étais un jeune professionnel prometteur, mais pas extraordinaire non plus. Sauf que quelques jours plus tard (sic – après avoir été doublé par Joop Zoetemelk puis avoir repris à nouveau la tête lors du contre-la-montre du mont Faron), j’ai remporté le Grand Prix de Cannes. » Laurent Fignon était sorti de l’anonymat.

Le lundi suivant, pendant une autre course sur une journée, la « Flèche azuréenne », ses coéquipiers ont roulé pour lui et non pour le favori local, Charly Bérard. Une nouvelle légende du cyclisme français était née.

Les Courses Disparues #4 : Grand Prix de Cannes

Malgré tous les projecteurs tournés vers le Palais des Festivals, le Grand Prix de Cannes prouve que la Côte d’Azur était et reste chaque printemps une opportunité en or pour les habitués des classiques, les professionnels en herbe et les futures légendes.

Vietto, Bobet, Anquetil, Poulidor, Fignon : les monstres sacrés du cyclisme français puisent leurs racines sur la Côte d’Azur.

Pour en savoir plus sur les courses qui n’existent plus mais qui n'ont pas été oubliées, consultez notre série des Courses Disparues.

CARNET DE NOTES :

Il est impossible de donner le tracé exact du parcours du GP de Cannes qui a beaucoup varié au fil des ans. Vous trouverez toutefois le tracé principal ici

Nous vous recommandons de le faire sur deux jours : une journée à l’ouest dans le magnifique massif de l’Estérel, et une seconde plus au nord et à l’est, vers Vence, voire jusqu’au col de l'Ecre pour les plus courageux.

Les Courses Disparues #4 : Grand Prix de Cannes