Italy Divide: Napoli – Lago di Garda, Avril 2019
C'était un dimanche après-midi froid de Décembre au Royaume-Uni. Après l'entraînement, je me suis mis à la recherche d’une nouvelle aventure afin d’éloigner l'obscurité de l'ennuyeuse journée d'hiver quand soudain, cela me parut évident. J'avais entendu parler de Italy Divide. Je savais que le cycliste de la Transcontinental, 2ème en 2018, Matt Falconer l'avait fait l'an dernier et l'avait adoré. Je regardai l'édition 2019, présentée sous mes yeux :
1200km, 15 000m d'altitude, 85% hors route.
Départ de Naples, en direction du Nord à travers les Appenines, la chaîne montagneuse de l'Italie, pour finir au Lac de Garde après avoir gravi les Dolomites.
Je n'avais aucune idée de la situation dans laquelle je m'étais fourré. Pour la toute première fois, je devrais prendre mon vélo, le mettre sur mon dos et marcher sur des chemins escarpés.
Premier jour : Où ai-je bien pu mettre ces jambières ?
Vous êtes déjà allé à Naples ? Si vous ne vous y êtes jamais rendus, allez-y ! De la nourriture incroyable et des gens sympathiques. Située à 230 km au Sud de Rome, la baie est l’une des plus belles au monde.
En sortant de la ville, j'ai dû pédaler après le groupe de tête et éviter quelques drafting malvenus. Le rythme commença par faire des ravages, alors je me suis stratégiquement arrêté pour faire le plein de nourriture et d'eau car j'avais l'intention de rouler la majeure partie de la nuit. Au fur et à mesure que l'événement s'engageait dans les premières pistes hors route, les groupes commencèrent par se diviser.
Alors que le crépuscule s'installait, je crevai sur une descente rocheuse. N'ayant pas retenu la leçon une première fois de ralentir, je crevai à nouveau 200m plus loin. D'un autre côté, ce fut l'occasion de s'arrêter et de se coucher. Je cherchai dans mes sacs, aucun signe de mes jambières. J'étais le double vainqueur de la Transcontinental Race et j'avais oublié de prendre mes jambières chauffantes. Ce n’est pas la première fois que je me sentis tel un écolier sur cet événement.
Alors que la nuit tombait, j'atteignis les premiers passages très difficiles. Des pentes à 30% me forcèrent à descendre de mon vélo et à porter les 18kg sur le dos. Italy Divide avait bien commencé. J'étais prêt pour un baptême du feu, pour lequel j'avais trouvé une définition idéale : 'Une première expérience de quelque chose, c’est en général quelque chose de difficile ou de désagréable.'
Deuxième jour : Il n’y a qu’une route qui mène à Rome
Le jour commençait la nuit car c’est comme si je ne m’étais pas arrêté. Très tôt, un vendredi matin, je me suis retrouvé à rebondir sur la Via Appia, vieille de 2300 ans, jusqu'à Rome. C'est là que le général romain Crassus crucifia 6000 esclaves le long de cette route avant de faire tomber Spartacus et sa rébellion. Les pavés étaient pires que la Flandre.
Je me dirigeai vers Lazio, puis vers la Toscane et le départ des fameuses routes de gravier blanches de la “Strada Bianche”. Pour faire une confession : Je pensais que l'ensemble de Italie Divide serait plus ou moins un mélange entre routes blanches de gravier idylliques et pistes cyclables. Quelle naïveté !
En passant par Viterbo, j’ai fait un petit détour pour acheter des jambières. Alors que je me garais dans le parking, c’est en traversant une flaque d'eau profonde que j'ai foncé droit sur un trottoir caché. La tête est passé par desus le guidon. Heureusement, je n'ai souffert que d'un ego meurtri et d'un contre-la-montre brisé.
Alors que le jour se transforma en nuit, je fus à la recherche d'un hôtel afin de m'arrêter pour trois heures de sommeil. Après quelques heures de recherche infructueuse et dans l'espoir de ne pas trouver quelque chose de mieux, je me suis installé à 4h dans une maison abandonnée. Voici le bon côté des choses : à ma très grande surprise, lorsque je suis entré dans la maison, il y avait un canapé, rien d'autre. Un cadeau. Une journée de progression plutôt tranquille : le calme avant la tempête.
Troisième jour : Des chiens de berger agressifs italiens et un hommage à Jimi Hendrix ivre
Je me suis réveillé tremblant et ayant froid. Je n'avais dormi qu'une heure après 36 heures de vélo sur 583km. Je décidai que la meilleure façon de me réchauffer était de remonter sur le vélo.
La route qui m'attendait, à travers la Toscane, était une grande source d'inquiétude. C'est là que Josh Ibbett avait été mordu par un chien l'année dernière.
Dans l'obscurité de la nuit, j'ai entendu des aboiements. La lumière de mon vélo a attiré le regard des moutons. Les chiens de garde enragés se tenaient sur de petites collines dans les champs. Lorsqu’ils ont aperçu la lumière, les chiens sont entrés dans une rage absolue. Je me suis alors légèrement replié. Ils se sont un peu calmés. J'ai commencé par pousser le vélo. Ils ont couru vers moi. Je suis monté sur le vélo et ils couraient à mes côtés, mais de l'autre côté d'une clôture de barbelés. J’allais m’en sortir, n'est-ce pas ?
Tout d'un coup, un des chiens a sauté par-dessus la clôture juste devant moi. Je suis passé en mode sprint totale. Un autre chien a sauté la clôture et s'est joint au premier, puis au troisième. Cela semblai durer une eternité, lorsqu’ils ont finalement commencé à reculer à mesure que je quittais leur territoire. J'ai été poursuivi à maintes reprises par des chiens, mais ce fut de loin la pire. Absolument terrifié, je fus sur les nerfs tout le reste de la nuit.
À l'aube, l'incroyable beauté de la région est devenue une réalité. Un magnifique lever de soleil avec une extraordinaire couche de nuages inversée. Je me rendais maintenant à Sienna et la route était bien adhérente. Ce sont ces routes blanches de la “Strade Bianchi”. Je suis arrivé à Sienna vers 08:00 et je suis tombé sur un café pour commencer à me remettre les idées en place. J'ai eu quelques problèmes digestifs pendant la nuit et les résultats n'étaient pas jolis. Alors, je me suis retrouvé dans les toilettes d'un supermarché à me nettoyer et à laver mon matériel. Très glamour !
J'ai atteint Florence en début de soirée, en pleine effervescence touristique. Quelle ville ! Puis la route est devenue très difficile. Il faisait sombre, toutes mes lumières étaient allumées. En raison de ma faible vitesse, ma dynamo ne chargeait pas la batterie pour mes phares et le monde autour de moi devenait de plus en plus sombre. L'ascension que je m'apprêtais à gravir me ménerait jusqu'à 1 000 m. Le temps de prendre une décision : l'arrêt était l’option la plus judicieuse.
Je suis arrivé en ville. Tous les hôtels étaient pleins. Il s'est trouvé qu'une grande course de motos avait lieu le lendemain sur le circuit voisin de Mugello. Le plan B : J'ai trouvé une pizzeria. J'ai commandé deux pizzas et deux desserts. Puis Gino, buvant au bar, est devenu très amical. Hé ! Viens et reste chez moi !
Une heure et demie plus tard, je me réveillai. Ce n'était pas à cause de mon alarme. C'est parce que Gino était rentré à la maison et jouait maintenant du Hendrix à la guitare et ne voulait pas s'arrêter. Toutes mes batteries étaient complètement chargées, je le laissai faire pour partir dans la nuit.
Quatrième jour : Montagnes et mirages
J'ai repris la course dimanche matin à 1h30 depuis Piero a Sieve, soit près de 60 heures depuis mon départ de Naples jeudi après-midi. J'avais parcouru 760km, grimpé 10 000m et brûlé 25 000 calories.
Mon défi de l’instant fut une ascension très difficile dans les Apennins dans laquelle j'ai dépassé l'un de mes rivaux. Cinq minutes plus tard, il revenait à ma hauteur. C'était Sofiane Sehili, un spécialiste français du tout-terrain bien connu. Nous avons roulé ensemble pendant un moment avant que l'ascension ne commence vraiment. C'était une autre ascension qui nécessitait une randonée avec le vélo sur le dos. En arrivant au sommet, j'avais un peu pris de l'avance sur lui.
J'ai commencé une descente difficile tout seul. Dans la première ville, j'ai trouvé un café avec des croissants et des beignets en libre-service. Sofiane m'a rejoint peu de temps après et nous sommes partis ensemble pendant un moment. Il est passé devant. Il m'a parlé de problèmes avec sa Garmin. J'ai alors compris ses problèmes car il allait dans la mauvaise direction.
En fin d'après-midi, je suis arrivé au poste de contrôle de la course à Governolo. Mon espoir d’y trouver de la bonne nourriture s'est rapidement effondrée. L'organisateur de la course me faisant savoir que, 30 km plus tôt, j'avais loupé une section de route. J’ai du y retourner et j'ai fait demi-tour.
Je fus de retour 90 minutes plus tard et j'avais perdu mon avance. Je me suis assis devant une énorme assiette de pâtes. Je savais que ça allait être un long voyage de nuit et peut-être que je ne m'arrêterais même plus. Il me restait 300 km à parcourir, dans ma tête je concourais pour l'arrivée.
Les courses qui ne sont pas supervisées nécessitent du repos et de la nourriture. Je ne pouvais pas m'attaquer aux dernières ascensions sans nourriture, mais je n'en avais pas. Je repérai un distributeur automatique. Ce ne fut pas un mirage. Aussi incroyable que cela puisse paraitre, il était plein de yaourts à boire riches en calories - 600 kcal pour 500 ml ! J'en ai acheté 12 et j'en ai bu six dans la foulée.
Suite à la visite de deux “Carabinieri” visiblement confus, je me suis assis seul à penser à ce qui m'attendait. Deux ascensions : près de 3 000m d'altitude. Puis une descente jusqu'à l'arrivée. Ma dernière pause sommeil avait été de 90 minutes sur le canapé de Gino, 24 heures plus tôt. En fait, j’avais dormi moins de trois heures au cours des 90 dernières heures.
Ce qui allait réellement se passer lors du dernier jour fut une expérience que je n'oublierai jamais.
Cinquième jour : Boue, pluie, neige - la course jusqu'à l'arrivée
J’étais à la poursuite de Sofiane depuis mon erreur de parcours. Il était 2h du matin, j’étais remplis de yaourt et je manquais de sommeil. La première grande montée commença presque aussitôt. J'ai commencé à m'endormir, mon esprit me jouait des tours. Je connaissais ce sentiment et je savais qu'il ne durerait pas.
La nuit, hors de la route, c'est assez difficile de savoir où aller et je me suis retrouvé à longer le bas d'une berge. Mes roues étaient dans la boue. Je savais que si je m’arrêtais, je serais coincé. Mon vélo serait bientôt complètement encrassé par la boue. C’est en trouvant un bâton que je pu suffisamment racler mon vélo pour repartir.
La piste me mena à une station-service déserte et fermée. Puis je vis un cycliste déjà sur place. Bien sûr, c'était Sofiane, à moitié endormi, assis sur une marche, l'air complètement abattu. Quand j'arrivai, il se réveilla.
Je trouvai un bain en étain, un arrosoir et une brosse et je commencai à frotter. Cela marcha, en quelque sorte. Je repartis dans la nuit sur mon vélo. Sofiane sauta dessus aussi et me rattrapa rapidement.
Je ne savais plus vraiment si Sofiane était devant ou derrière moi. En arrivant à 1000m, la pluie commenca à tomber. Je dus pousser mon vélo sur une piste horrible et commencai à traverser un champ. J’étais maintenant à 1200m, il était six heures du matin et mon cœur faiblit lorsque la pluie se transforma en neige.
La visibilité tomba à 10m. Je n'avais que du matériel de cyclisme et je savais que je devais encore grimper jusqu'à 2000m. Je pris une grande decision de m'arrêter pour trouver un endroit chaud où m'abriter.
Je cherchai des hôtels locaux. Je les appellai, sans réponse. Je quittai donc le parcours de la course pour me dirige vers le plus proche. C'était absolument mort. J'essayai un dernier appel et reçus une réponse. Bien qu'ils ne comprennaient pas l'anglais, je fus à l'hôtel en 10 minutes. Je pris une douche, sans precipitation et dormis trois heures. Pour moi, à ce moment-là, la course était terminée. J'allais attendre la fin de la tempête avant de terminer le parcours, la sécurité avant tout.
Je fus réveillé par mon réveil et j'ai ouvert les rideaux. Le ciel était bleu clair ! L’arrivée était proche. Il ne restait que 90 km avant l'arrivée et je ne m'arrêterai pas. Je savais que Sofiane avait fait des progrès conséquents et n'avait que 15 km d'avance sur moi. Mais étant donné le terrain, cela faisait à peu près deux heures et demie.
Je repris le chemin de la course à grimper sur les pistes difficiles. Peu de temps plus tard, la neige atteignait mes genoux. Je descendis du vélo et je commencai à pousser.
Cela a duré longtemps. Pendant que je luttais, je voyais où Sofiane avait roulé. Je pouvais même voir où il était tombé. La même chose m'est arrivée. J'ai dû tomber une quinzaine de fois.
Finalement, je me suis retrouvé en descente sur le tarmac. J'étais déjà à 30 minutes derrière lui. C'était un temps incroyable à rattraper sur une si courte distance, mais il devait être très fatigué. Je me suis arrêté et j'ai gonflé mes pneus pour le tarmac.
Giacomo, l'organisateur de la course, était sorti en voiture et il m'a dit : 'Du calme, cette descente est comme Stelvio'. Je me suis arraché et ce fut incroyable. J'étais vraiment excité parce que je savais que je ne pouvais pas être loin derrière. Aussi, la dernière ascension se passait sur le tarmac.
J'ai commencé cette ascension à un rythme effréné. J’étais à 18 km du sommet et je pensais que je pourrais rattraper Sofiane. Après 16 km d’un gros effort que je pouvais bien supporter après tout ce qui s'était passé auparavant, il était là. Je me suis mis derrière lui. Puis, je l'ai attaqué, en donnant absolument tout. Il trouva le rythme pour revenir. J'attaquais à nouveau qu’il revenait une seconde fois. J'attaquais une fois de plus pour ouvrir une brèche de 10m. Je vis le sommet avec la route couverte de neige.
Je me suis arrêté, lui aussi. J’ai dit : 'On roule ensemble ?', il m’a repondu 'Oui' puis c'est tout. La course était terminée. Je savais ce qu'il avait enduré et j'avais un respect et une admiration ultime pour mon compagnon de route.
Nous sommes repartis ensemble, marchant dans la neige. Nous sommes arrivés à Torbole, au Nord du Lac de Garde, dans le noir, ensemble. Une fin digne d'une course incroyable avec un immense cycliste.
En écrivant ceci, cela fait une semaine que j'ai terminé, et la vie reprend lentement son cours normale. J'ai beaucoup dormi ! Mes jambes fonctionnent à nouveau. Les nerfs de ma main gauche se détendent et son usage revient.
Le fait de pouvoir terminer est un veritable signe de qualité quant à l'équipement que j’utilise, de mon vélo et de mes vêtements. Dom Thomas de Fairlight a conçu un sacré vélo.
J’ai pédalé avec un ensemble Cafe du Cycliste pour la première fois, il a résisté à des conditions terribles. Toute la journée, sous la pluie, la neige, en pleine chaleur. On a tout eu. J'étais à l'aise tout le temps.
Trajet complet sur :