Les Courses Disparues #1 : Nice Mont-Agel
Tout à commencer avec un repère indiquant « 500 m ». Une trace un peu effacée, comme gommée, mais qui résistait encore, Dieu sait depuis quand. Puis nous avons trouvé un second indice un peu plus haut dans la montée du mont des Mules, entre Beausoleil et La Turbie. Une ligne cette fois, une ligne d'arrivée et une confirmation que ce morceau de route à présent calme et presque désert avait été noyé autrefois sous le tumulte d'une foule en liesse.
Ce bout de route que nous parcourons aujourd'hui est un haut lieu de l'entraînement, la Mecque des cyclistes pour ainsi dire - tout du moins un rêve pour ceux qui habitent la région. Mais avant cela, il a vu défiler nombre de courses professionnelles. Ces nombreuses rencontres connurent leur heure de gloire grâce aux conditions idéales de ce site d'envergure européenne. Elles se sont aujourd'hui évaporées, un peu à l'image des brumes éphémères qui couvrent ces pics avant de disparaître. Ce sont les « courses oubliées » de la côte d'Azur.
Son tracé fut imaginé, comme tant d'autres, par un journal sportif. On l'appelait parfois la « Monaco-Mont Agel », son point de départ ayant énormément varié au fil de ses cinquante ans d'existence. Plus haut que le col de la Madonne et avec des lacets numérotés « à la Alpe d’Huez » (aujourd'hui devenus inaccessibles malheureusement), le mont Agel reste pourtant lui-même.
L'idée de départ était certainement de générer quelques profits avec une course de début de saison dans un endroit plutôt glamour, afin d'attirer toutes les stars montantes de ce sport en plein essor, mais le projet n'aboutit finalement qu'à un contre-la-montre en groupe. Nous pourrions résumer cette course à une guerre d'usure : du confort relatif des premières pentes douces aux sommets rocailleux du mont Agel, en passant par les fameux lacets du mont des Mules qui s'étirent dans l'ombre de leur fameuse voisine, la Tête de Chien.
On ne refait pas l'histoire, mais il est des vieux sentiers qu'il est bon de réemprunter. C'est ce que nous avons fait avec un coup de pouce de Michael, qui participa à la dernière version amateur de la course en 1984, et de Kong Fùfù qui pourrait tenir longtemps un public en haleine avec les anecdotes de ses sessions d'entraînement sur les pentes du mont Agel en compagnie de pros tels qu'Alexander Blain (URL).
La basse corniche, avec ses plages et ses villas, ne porte plus beaucoup de traces des anciennes courses cyclistes, à l'exception du magasin de cycles de la famille Camellini à Beaulieu-sur-Mer. Il fut fondé par le vainqueur de l'édition 1947 de la course, Firmo Camellini. Elle reste néanmoins une magnifique route côtière qui enchaîne les baies, un tracé idéal pour les coureurs qui partaient de Nice et s'y faisaient les jambes avant de monter.
À Monaco, la seule option était et reste de monter. Seize kilomètres pour rejoindre le sommet, et comme Henri Pélissier le disait : « Il faut essouffler tous les autres, n'en laisser aucun se reposer ni récupérer… ». Et il en savait quelque chose. Avec ses frères, Henri fut l'un des pionniers de cette course, dont il remporta les trois premières éditions (de même que le Milan San-Remo, un Paris-Roubaix et le Tour de France de 1923). 1923 fut également une année charnière pour cette course oubliée : la neige et la glace recouvraient les derniers lacets avant le fort et obligèrent tous les coureurs, à l'exception d'un seul, à monter à pied. Une scène atypique que peu associeraient avec une course sur la côte d'Azur !
Ce n'est qu'une fois les pentes supérieures atteintes, après un bref petit flirt avec La Turbie, que le mont Agel sort véritablement les crocs, avec une moyenne à 8 % entre la route de Peille et le Monte-Carlo Golf Club. C'est une route moins connue des amateurs du coin ou de passage, mais un excellent test pour les pros de la région qui parsèment le haut des classements Strava. Les vues de ces lacets taillés dans la roche, au-dessus du cap Martin et de Monaco, sont tout simplement époustouflantes.
C'est sans surprise que les super-grimpeurs prennent alors le relais pour écrire le reste de l'histoire. C'est ici que « l'aigle de Tolède », Federico Bahamontes, remporta sa première victoire professionnelle en 1954. En 2013, il a obtenu le titre de meilleur grimpeur de toute l'histoire du Tour de France. Kong Fùfù ne tutoie peut-être pas autant les sommets, mais il respire le même air. Sur les fameux 4,2 km à 6% du mont des Mules, il a obtenu le deuxième meilleur temps avec 10:33, à seulement 36 secondes du professionnel Lieuwe Westra. Pas un héros... mais presque.
Les vrais héros de l'Agel se sont forgés sur les mêmes tronçons de bitume. Ils n'étaient pas Français, mais Italien et Espagnol, respectivement : Luigi Barral et José Gil. Ils ont tous les deux remporté six fois la course et devraient avoir leur nom gravé dans le marbre, au lieu d'être pratiquement tombés dans l'oubli. Comme cette course. La faute au développement, à l'explosion démographique de la région, et aux difficultés à réaliser et suivre un tracé dans ce chaos. Leur nom, comme la course, ont aujourd'hui été emportés. Ils sont les oubliés de cette course oubliée.
Tout ce qu'il en reste, ce sont quelques souvenirs qui s'effacent ; pour d'autres, rien que des photos trop contrastées, maigres témoins d'un sens aigu de la pureté du sport, de l'émotion de lutter contre l'implacable gravité et de ce qu'était l'éthique de l'époque - ça passe ou ça casse.
Heureusement les routes sont encore là. Plus isolées peut-être qu'à la grande époque, mais elles lancent toujours le même défi. Ce défi, il reste là, dressé devant nous. À nous de le relever.
Pour en savoir plus sur les courses qui n’existent plus mais qui n'ont pas été oubliées, consultez notre série des Courses Disparues.