Les Courses Disparues #2 : Boucle de Sospel La stèle en hommage à René Vietto en haut du col de Braus est si discrète, qu'il serait facile de la manquer. Elle se trouve sur le parking, à l'opposé du panneau du col. On y trouve aussi le panneau en bois signalant l'aire René Vietto. Les aires, aujourd'hui, nous les trouvons sur les autoroutes. Elles sont synonymes d'espaces surpeuplés, de mauvais sandwichs et de café amer. L'aire de Vietto était également très fréquentée, fut un temps, entre 1922 et 1948. Elle marquait le milieu et le principal passage de notre prochaine course disparue, la Boucle de Sospel.À la différence du Nice / Mont-Agel dont nous avons parlé il y a peu, la Boucle de Sospel ne s'adressait pas aux grands noms de ce sport en pleine professionnalisation, mais plutôt aux amateurs locaux et aux « débutants » - aux talents qui montent. La Boucle a porté ses fruits, et ce terroir des Alpes-Maritimes a permis de mener de jeunes pousses à maturité.Cette course était aussi appelée la Boucle de l'USTNL (Union Sportive des Tramways de Nice et du Littoral), du nom du club organisateur dont le sponsor souhaitait relier Nice à plusieurs autres villes de la côte. Leurs objectifs étaient indéniablement sportifs, mais leur partenaire, L’Éclaireur de Nice, qui suivait alors la tendance des grands journaux de l'époque, ne donnait des nouvelles des courses cyclistes que pour augmenter son tirage.S'adressant aux amateurs et aux débutants, ce parcours de 96 km n'était pas aussi long et difficile que les étapes des premiers Tours de France ou que les épreuves du type Bordeaux-Paris. Mais comme toute ville installée au creux d'une vallée, le seul moyen d'y entrer et d'en sortir était par un col, en l'occurrence celui de Sospel. À l'exception de la première partie qui se déroulait dans la vallée du Paillon, le parcours ne faisait donc que monter ou descendre.
La Boucle passait par trois cols (Nice, Braus et Castillon) pour revenir à Sospel et finalement arriver sur la côte à Menton. Mais la montée ne s'arrêtait pas là. Il fallait encore grimper pour quitter Menton puis entamer la dernière ascension sur la Grande Corniche pour rejoindre la ville de La Turbie, à 658 m d'altitude.L'arrivée sur le boulevard de Risso, en ville, permettait au public de profiter pleinement du finish, à l'image de la dernière étape de l'actuel Paris-Nice. Malheureusement, la présence du public, si elle est enthousiasmante, apporte aussi son lot de problèmes : lors de la dernière étape de la Boucle de 1930, un jeune couple surgit sur la route devant le leader de la course, Amilcar Cavandoli. S'il réussit à remonter sur son vélo, il n'arriva finalement que second, derrière Charles de Ambrosi.Il était rare que le peloton arrive groupé à Nice. Bien que courte, cette course n'en était pas moins une guerre d'usure. Lors de la première édition, en 1922, le peloton éclata dès le col de Nice, pour être réduit à peau de chagrin : 75 au départ, ils ne furent que 16 à l'arrivée. Cette « petite » montée de 6,5 km n'était pas réellement déterminante pour le résultat de la course, mais c'est là que le tri se faisait et que le groupe de tête d'où sortirait le vainqueur se formait.Une fois arrivé en haut du col de Nice, le tunnel de l'ancienne route marquait l'entrée dans la montagne. L'étape suivante était l'acte décisif de la pièce qui se jouait : le col de Braus. C'est dans cette montée de 10 km de long que le gagnant de la première édition, Second Ganora, réussit à s'échapper définitivement du groupe de tête. Une victoire en solo après une longue échappée : le rêve de tout coureur ! Le col de Braus servait alors de tremplin aux futurs champions.Et ce fut le cas pour René Vietto. En 1931, il était l'un des débutants présents sur la ligne de départ, place du XVe corps. Il n'avait que 16 ans. Cette jeunesse explique en partie pourquoi il ne domina pas la course, mais il fut pourtant dans le groupe qui atteignit en premier le col de Braus. Là encore, il ne mena pas l'échappée, il n'attaqua pas en montée.
Le temps était exécrable. La pluie et le brouillard réduisaient considérablement la visibilité. Vietto restait parmi les poursuivants. Ce ne fut qu'à la dernière ascension, entre Menton et La Turbie, qu'il rattrapa le groupe leader alors que l'un d'eux s'arrêta pour « changer de développement » (entendez « changer de braquet » en tournant la roue arrière), alors que les autres étaient exténués. Vietto arriva à Nice avec Paolo Bianchi et gagna au sprint d'une longueur de vélo.En 1934, René refit le parcours de la Boucle, mais pas dans le cadre de la course locale. Cette année marqua ses débuts dans le Tour. Il s'y autoproclama d'ailleurs l'un des meilleurs grimpeurs au monde (il remporta le prix du Meilleur grimpeur du Tour cette année-là). Il domina la traversée des Alpes, remportant deux victoires d'étape en franchissant seul le col du Galibier, le col de Vars et le col d’Allos. La dernière étape dans les Alpes suivit peu ou prou le tracé de la Boucle de Sospel, bien que plus longue, se terminant dans la ville natale de Vietto, Cannes, au lieu de Nice. La boucle était bouclée.Comme lors de sa victoire trois ans plus tôt, le temps se dégrada dès le début de l'étape. Mais cette fois-ci, Vietto ne resta pas dans le peloton : il attaqua dans le col de Braus et prit de l'avance. Sur le chemin de retour vers Nice, Guiseppe Martano (alors 2ème au classement général), surprit le maillot jaune Antonin Magne et réussit à réduire l'écart avec Vietto. Fort de son expérience de 1931, le jeune Vietto garda son sang froid et remporta le sprint dans ce qui dut être une victoire pleine d'émotion pour lui, dans sa ville natale.
Nous ne pouvons que spéculer, mais cette victoire fut certainement l'une des plus belles pour lui, et pas la dernière sur cette course. Peut-être est-ce pour cela qu'il demanda que ses cendres soient éparpillées sur les pentes du col de Braus.Mais qu'en est-il des amateurs ? Il y a de nombreux noms qui ne vivent plus que dans la mémoire des descendants et des locaux. Un, pourtant, sort du lot.
Le prince Igor Troubetzkoy était un aristocrate russe de nationalité française par sa naissance à Paris, et un sportif accompli. Skieur, pilote automobile, c'est toutefois en cycliste qu'il exprima tout son potentiel. Bon, admettons qu'il se fit plutôt connaître en devenant le quatrième mari que la riche héritière Barbara Hutton. Mais le sport était sa passion et il remporta la Boucle de 1933 avant de finalement s'adonner à son plus grand amour : la course automobile. Il remporta la Targa Florio et fut l'un des premiers pilotes à conduire une Ferrari en compétition, lors du Grand Prix de Monaco en 1948.Notons que la Boucle continua d'être courue presque sans interruption, malgré la guerre, jusqu'en 1948, année où elle disparut. Une dernière édition fut organisée en 1983, remportée par Pascal Simon, le même qui prit le maillot jaune à la dixième étape du Tour de cette même année. Il se brisa l'omoplate lors d'une chute, le jour suivant, mais réussit tout de même à conserver le maillot pendant encore six journées. Voilà la preuve que les courses disparues de la Côte d’Azur ont formé des générations de coureurs endurcis.CARNET DE NOTES :
Tracé complet de la Boucle de Sospel - https://www.strava.com/routes/8776551
Col de Nice - https://www.strava.com/segments/611470
Col de Braus- https://www.strava.com/segments/7257777?hl=es-419
Col de Castillon - https://www.strava.com/segments/5765410
Pour en savoir plus sur les courses qui n’existent plus mais qui n'ont pas été oubliées, consultez notre série des Courses Disparues.