ARL – MRS Le concept a été concocté par le groupe Arles Gravel et ses homologues Marseillais, Boomerang. À la recherche d’un produit extra pur, ils ont créé un produit à l’effet immédiat et super puissant, un truc qui ne pourrait que vous rendre accro au gravel.
Une route riche en Vitamine G entre Arles et Marseille combinant des passages secrets, des chemins de traverse, des singletracks suaves, des coulées douces et des paysages pittoresques. Les limites de temps ? RDV pour les Marseillais au plus tôt à Arles au train de 8h00, et aux Arlésiens de rentrer au plus tard par celui de 20h00. Ce n’était pas une randonnée, une course, une balade ou un challenge, mais un voyage
LE CERCLE DES GRAVELEUX ANONYMES
Ils sont là dans l’ombre, aimantés par cette gare d’Arles au petit matin, une trentaine de minces cyclistes, pour certains sortant de voitures où ils attendent depuis l’aube, pour d’autres descendant du train qui vient d’arriver de Marseille. Ils savent tous pourquoi ils sont là, bien décidés à l’avoir, coûte que coûte. Et ils l’auront leur shoot de gravel, ils sont entrés dans le cercle, plus moyen de faire machine arrière.GETTING HIGH
La lumière est de plus en plus brillante, roulant plein Est, face au soleil levant avec de bonnes lunettes fumées et en baissant la visière de sa casquette.
Le tempo s'accélère doucettement, après s’être échauffé dans les rues du vieil Arles et les allées stabilisées des faubourgs voilà les premiers chants d’oiseaux, les reflets changeants sur l’eau du marais et la lumière stroboscopique entre les arbres qui défilent. La jungle. Le battement augmente de façon progressive, les autres ont eux aussi le sourire au lèvres. Ça y est ça monte, ça monte, on s’élève vers le ciel. Arles est déjà loin, là-bas dans le paysage.TRANSEOn reconnait sans problème les premiers à entrer en transe car ils font la course avec des chevaux au galop, ils roulent exprès dans les flaques d’eau, ils rient fort, hurlent en Anglais ou en Italien.
Ça y est, ils sont partis. La transe en vélo c’est une forme jouissive de fuite en avant, une sorte de délire super dur à suivre sans un bon entraînement. Mais on arrive à coller à la roue, on profite de l’aspiration, la respiration s’amplifie, ses pupilles se dilatent, une goutte de sueur perle à l’orée de son casque.
OVERDOSE & HALLUCINATIONS
Filer sur une plaine désertique, giflé par le vent, déchiré par des galets qui mettent à rude épreuve les machines et les hommes. Les Coussouls de Crau, c’est trop. Trop de vibrations, trop de heurts, trop d’infinie platitude bosselée qui démoralise même les plus vaillants. Les jambes et les corps deviennent lourds. Progressivement la vitesse baisse, le coup de pédale se fait moins fluide, plus appuyé, plus laborieux
L’abus de gravel provoque les premières hallucinations. À plus de 35 à l’heure sur la route goudronnée après Entressens et s'y prendrait à faire du relais avec un type en jeans taille basse, grosse ceinture en cuir, veste Adidas des années 80, baskets et pédales plates. Ce n’est pas possible, ça ne peut pas exister. Pas à 35 km/h. Le suivant à prendre un relais est un lutin en VTT (toujours à 35 km/h), un pistolet laser fixé sur le casque, un grelot brinquebalant sous la selle. Il faut vraiment arrêter la consommation d’isotonique, ça commence à nous jouer des tours. Heureusement voilà Miramas, déjà 50 km, il faudra faire une pause, se calmer.SUBSTANCEDe temps en temps ça stoppe et on reprend conscience, on ne pilote plus, on est à l’arrêt, on réalise qu’il y en a d’autres autour de soi qui sont dans le même état, qui voyagent aussi, avec leur corps et dans leur tête.
Que l'on soit au fond d’un vallon calme et ensoleillé ou dans la file d’attente d’une boulangerie ouverte le dimanche, on reprend des forces, on mange un morceau pour repartir de plus belle, pour vivre plus intensément, plus vite, plus fort, prendre du plaisir, avec la sensation que ça va toujours durer...
LA LIGNE SUR LE PLATEAU
Au bord de la falaise, sur le plateau de Vitrolles, les cyclistes un instant descendus de leurs montures vivent l’intense expérience mystique de la ligne d’horizon. La lumière vive et froide du soleil d’hiver révèle les environs dans des couleurs artificiellement saturées.
De loin, on ne comprend pas ce qu’ils crient car le vent est trop fort, l’Étang de Berre s’offre à leurs regards d’Indiens qui se prennent pour des aigles. Les yeux plissés, le rictus aux lèvres, face au paysage ils se livrent au mistral, les bras écartés, mi-oiseaux mi-humains.ANGEL DUSTParfois des zones commerciales, des zones industrielles ou leurs vestiges désaffectés nous ramènent à la dure réalité. Labos clandestins ? Raffineries ? Les boues rouges de Septèmes-les-Vallons sont là pour te rappeler les sorciers de la transformation chimique sans fois ni loi qui ont impacté à jamais la colline.
Un incendie récent a fumé la forêt, il n’y a plus d’arbres, juste la piste rouge qui serpente comme une veine dans le paysage désolé. Mais le vélo de gravel, angélique, sublime le cauchemar et le transforme en rêve. On roule dans de la poudre d’ange hématite, de la poudre d’ange rouge sang, de la poudre de sang séché d’ange.STAIRWAY TO HEAVENCasse-pattes autour du Collet Redon. Nous le détestons ce Vallon de la Barre de Fer, le bien-nommé, qui va nous achever. Des bosses à 12% qui pourraient rendre malade le graveleux le plus affuté.
Nous avions oublié l’existence de ces montées brutales et pierreuses, une crise d’amnésie nous aura fait occulter ce moment douloureux mais nécessaire car proche de la délivrance. Parfois la roue arrière chasse, la roue avant tape et se soulève. Après 130 km les jambes sont dures, nous serrons les dents, il faut tenir : Ensuite c’est le Centre d’Enfouissement Technique, la longue descente vers le bassin du Vallon Dol, la vue sur la mer, La Batarelle, Saint-Mitre, Saint Jérôme, Malpassé, Les Chartreux, puis l’atterrissage au cœur de la ville, boulevard Longchamp.RECHUTEFatigué, fourbu, devant une bière au Longchamp Palace, un sourire un peu niais aux lèvres, on ne ressent pas encore l’effet de manque, parce que pour aujourd’hui, nous avons eu notre dose.
Nous sommes simplement heureux d’avoir vécu cette expérience, avec les autres, ce trip super fort, physique, émotionnel. Il est désormais inscrit en nous, il nous a fait avancer collectivement et il nous remue intimement. On regarde autour de soi, certains en parlent, d’autres se taisent, ressentant encore tous ensemble les effets de l’expérience. Et après ? Ben après deux ou trois jours de sevrage, nous replongerons sûrement dans le gravel, sans doute aussi en souvenir de ce que nous avons vécu aujourd’hui.Footnotes: Photos: Matthieu Lifschitz & Dan Rosilles // Texte original par Dan Rosilles