POINT IT TO THE BREAK - Chasse à la vague à deux roues
Un sage a un jour constaté que les obsessions des autres sont fascinantes. Le surf et ses adeptes en font un parfait exemple. Pour des non-surfeurs, le comportement de ceux qui courent après les vagues est intrigant. Il apparaît que la chasse à la meilleure occasion et les détails qui en découlent soient tout autant obsessifs que la prise elle-même.
Cela dit, une obsession n'est pas toujours unique. Combien de cyclistes sont également des surfeurs ? Deux sports, deux styles de vie et un amour du plein air font que ces mondes se chevauchent pour certaines personnes. “Outside is free” est probablement un hashtag viral quelque peu sur-utilisé mais l'essence reste bien là. C'est souvent cette raison même qui déclenche de nouvelles aventures.
Le surf et le cyclisme offrent une belle combinaison pour canaliser cet esprit de plein air. Sami, Ollie, Amy et Rémi ont tous décidé que ce devrait être la base d'un long week-end. Monter dans l'arrière-pays, installer un campement au bord de la mer, surfer jusqu'au coucher du soleil, puis recommencer dès l'aube. Le lieu ? Asturies, Nord de l'Espagne.
Le littoral des Asturies est bien connu pour être une région de belles vagues et de paysages époustouflants, ce qui en fait une destination parfaite pour le cycliste surfeur. Comparé à la Côte d'Azur, les étendues vertes de la Costa Verde en font un changement rafraîchissant. Tout comme la Côte d'Azur, elle possède des flancs de montagnes au bord de la mer, mais dans un format plus ouvert et étendu.
Les Picos d'Europa ne sont pas si loin et Ollie vient de rentrer d'une semaine d'aventure de gravel sur des pentes qui culminent à 2000m. C'est pour cela qu'il est le premier à remorquer les planches. Sami est l'autre volontaire, peut-être pour protéger sa nouvelle planche qu'elle a fabriqué de ses propres mains dans un magasin de surf appartenant à des amis sur Barcelone.
Pourquoi transporter une remorque pleine de planches de surf ? Avec des vélos, la chasse aux meilleures vagues est tout simplement meilleur. Les surfeurs étudient méticuleusement les cartes côtières ainsi que les prévisions maritimes dans le détail afin d’essayer de trouver de l'or bleu. Plus l'endroit est éloigné et mieux c'est. Ce qui est, bien sûr, pratiquement identique au cyclisme d'aventure - la planification des itinéraires, la recherche aux tempêtes de pluie et aux vents contraires. Tout comme la recherche de la prochaine et nouvelle destination. Tout cela fait partie du programme. Dans ce voyage, le mélange magique consiste à trouver les meilleures routes et pistes qui mènent à la meilleure baie avec les meilleures vagues. Sous réserve, bien sûr, de ce que Mère Nature pourrait servir en cours de route.
Dans les Asturies, il n'est pas facile d'aller à la plage. Il faut suivre l'itinéraire de Komoot jusqu'à Playa Balotta qui nous emmène sur des routes secondaires et des pistes doubles où les montées et les descentes sont difficilies. Les 20 kg de remorque dont deux planches de surf, un sac rempli de combinaisons de plongée et d'ailerons paraissent faisables jusqu'à ce que la route devienne une sorte de ciment ondulé avec une inclinaison de 20%. Ce qui soulève d’ailleurs quelques interrogations quant à la logique de la pratique du bike-surf. Elles sont toutefois vite mises de côté et s’effacent lorsque le sommet est atteint pour révéler une vue impregnable sur les sommets de montagne serpentant une ligne de crête spectaculaire.
Il est souvent dit que le fait d'ajouter des bagages à un vélo change l'état d'esprit d'un cycliste ; cela ralentit les choses, vous faisant profiter de l'environnement, multipliant les possibilités et augmentant le sens de l'aventure. Une remorque pleine de planches de surf au sommet d'une montée comme celle-ci ne fait qu'ajouter une autre finalité.
En descendant le flanc de ces montagnes, les cours d'eau deviennent de plus en plus abondants. De petites villes se forment autour de ponts d'acier traversant des affluents remplis de bateaux de pêche et d'embarcations de plaisance. Plus la côte se rapproche, plus les routes se rétrécissent et deviennent du gravel, s'élevant vers le haut avec ces falaises qui donnent sur la mer.
Arriver à Playa Ballota pour admirer un tel panorama jusque la baie est époustouflant. Les surfeurs du groupe font leur boulot avec ce long regard silencieux sur la mer en contrebas, qui pour un non-surfeur, semblerait être simplement un moment de contemplation des plus tranquille. Mais beaucoup de choses sont à observer - est-ce une gauche, une droite, une vague qui déroule des deux cotés ? où se trouve les zones sensibles, les zones d'impact, la vitesse adequate pour rester stable ? Malheureusement, les vagues ne sont tout simplement pas au rendez-vous.
C'est donc encore 10 km de plus à parcourir pour trouver un endroit pour la nuit. Le long d'un chemin, c’est à travers un champ, planté au bord d'une falaise qui surplombe la baie avec sa propre mini-île que le camp est établi dans un endroit cinq étoiles. Nous nous accommodons de ne pas avoir de vagues. Tout comme lorsqu'un cycliste s'arrête en montagne pour une raison ou une autre, le simple fait d’être ici est suffisant.
Non loin du réchaud, Amy prépare la table. Elle est 85% surfeuse, 15% cycliste et a beaucoup, beaucoup de questions. Le cyclotourisme, c'est maintenant la tendance, pourquoi des clips aux pédales appelées “clipless”, quelle est la façon la plus facile d'aller aux toilettes avec un cuissard à brettelles, quel équipement et quelle cadence sont adaptés aux collines et, bien sûr, la question du rasage des jambes...
L'aube se lève avec les tentes pour faire une seule chose : contempler la mer. Et une fois de plus, pas de vagues. Et une fois de plus, la douce lumière du lever du soleil et la beauté de l'environnement apaisent en grande partie le stress du surf.
Un sentiment d'anxiété grandissant se fait sentir au sein du groupe. La chasse va se poursuivre et on s'interroge de plus en plus quant à la direction du vent et les prévisions de la houle. Les résultats de certaines recherches indiquent qu’il serait preferable de revenir au point de départ à San Vincente de la Barquera, plus précisément à Playa de Gerra sur son côté Est.
Ce qui n’est pas si loin, mais la lecture des cartes révèle qu'il est possible d'en faire beaucoup sur gravel en suivant le côté terre de la crête côtière. C'est une décision facile à prendre qui est récompensé par un parcours passant à travers tout le pays. Ollie ouvre la voie en faisant des sauts et des dérapages, ce qui est relativement facile si on se rappel son tour en montagne de la semaine précédente. Arrivée à San Vincente de la Barquera, Amy et Sami décident de prendre une pause café. Idée qui change rapidement pour un martini, car il n'y a que 10 km jusque la plage. Personne n’oppose de contestations.
Le vent rend cette dernière ligne droite un peu plus difficile que prévu à vélo, mais favorise les conditions de surf. Il est enfin temps de déballer les combinaisons de plongée et d'aller à l'eau. Les locaux arrivent et le bike-surf provoque curiosité et plaisanteries. On remarque qu'ils sont sur de longues planches, alors que les remorques à vélos sont pleines d'équipement beaucoup plus court. Une connexion immediate se crée entre les surfeurs, avec un tas de questions sur le pourquoi du comment conduisant à faire des rencontres. Un peu comme les cyclistes, en fait.
Playa de Gerra est exposée Nord Ouest et bien que la houle ne soit pas très forte, les vagues sont constantes. En tant que surfeurs les plus expérimentés du groupe, Sami et Ollie pagaient et combattent les vagues sur leurs planches un peu trop courtes pour les conditions. On peut voir avec frustration les locaux glisser sur leurs longues planches, mais Sami persiste sur sa nouvelle planche.
Alors que cette session de surf n'est peut-être pas la meilleure qu'on n'ait jamais connu, elle souligne d'une certaine façon ce voyage. Le groupe reste dans l'eau pendant deux heures, assez longtemps pour voir le soleil se coucher depuis leurs planches. Littéralement plongé dans la nature, il vaut mieux passer des vêtements froids et sombres à des vêtements secs avant une nouvelle séance de reflexion sur les obsessions des uns et des autres autour du réchaud. Comme dirait un surfeur, il y eut de très bonnes vibes au cours de ce voyage.
Photos : Chris McClean