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TCR checkmate

Démonter, cellophaner, scotcher, prendre un TGV, tout déballer, remonter, tout checker, puis prendre un train régional. Nous y voilà.

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Cela fait déjà des mois que j'attendais ce moment. Retrouver ses amis au départ et s'en faire de nouveaux pour se raconter des blagues, dédramatiser. Organiser le repas du soir dans un restaurant au sommet du Muur après le briefing du staff de course rappelant les grands principes et quelques rappels des règles à respecter.

C'est la deuxième fois que je me retrouve sur le départ de la Transcontinental Race, cette fois ci, tout est plus simple, j'ai déjà vécu cette routine, je reste serein. Je ne garde qu’un seul objectif, une vision, un seul focus: la ligne d'arrivée.









Les discours, les tapes dans le dos, les encouragements, les accolades, nous en sommes là. On peu ressentir un étrange sentiment entre flottement et tension positive. Il est 22h00, la nuit est tombée. La cloche retenti, le tour de Parade commence, on entame la première ascension du Muur en peloton, on fait un tour de la ville, on retourne sur la place puis on entend les encouragements des spectateurs. On reconnait des visages familiers. C’est l'ascension finale, le vrai départ, les cris se font de plus en plus nombreux. On passe un virage à droite et là, plus rien.

En haut du Muur, un virage à droite et puis plus de bruit. Nous n’entendons plus que les roues libres, les silhouettes commencent déjà à s'allonger sur les prolongateurs. Chacun commence à prendre sa place, son rythme. Lors des premiers grands croisements, les pelotons commencent peu à peu à se diviser, s'éparpiller, marquant les différentes options de chacun.

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Plus les heures passent, moins je côtoie de participants. L'excitation du départ retombe, et le matin pointe déjà le bout de son nez. Il faut essayer d’ignorer la fatigue.

Les deux premiers check point se jouerons contre la montre. Il faut sortir de la Belgique par les Hauts de France, filer jusqu'à Strasbourg, traverser l'Allemagne en commençant par gravir un premier col digne de ce nom et descendre jusqu'en Suisse pour arriver en Autriche. Je valide le check point 1, puis j’enchaine le somptueux serpent du Parcours 1, j’arrive au premier hôtel, puis je m’enfonce dans le Tyrol en disant bonjour à l'Italie pour revenir en Autriche et passer la frontière Slovène, je traverse une ancienne cité minière du bloc de l'Est abandonnée, et j’attaque l'ascension du Mangart Sedlo.

Le plan est simple, traverser les Alpes.

1250 km et 12000 m. D+ en quatre jours et quinze heure, CP2 validé.
Rallier ces deux CP dans un chrono honorable était pour moi l'assurance d'être bien lancé. L'année dernière j'ai gouté à l'échec. Quand il arrive, c'est rarement au dernier moment, on le sent venir, les pépins s'enchainent, les retards s'accumulent, les mauvais calculs entrent en scène et le moral s'échappe peu à peu vers d'innombrables excuses. Souvent bonnes.

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Mon point de bascule était le CP3 mais à vrai dire, cette année fut bien différente, et dans le bon sens. Arrivé au sommet du Mangart, je repère un emplacement un peu plus haut que la route dans l'herbe qui dévoile l'immense panorama.

Je n'ai pas dormi depuis deux jours et me dis que c'est un bon endroit pour se poser avant la descente et savourer ce moment.

Ici, une émotion intense m'envahit. J’arrivai à comprendre un langage sans mots qui me disait que tout allait bien, que tout irait bien, que rien ne m'empêcherait d'aller au bout, les dés étaient jetés et c'était une victoire anticipée qui me chamboulait de sentiments. Les larmes m'envahissent, celles de la revanche: pas sur la course, elle était loin d'être terminée, mais sur la vie, sur le mauvais sort.

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L'objectif suivant est a 800 km, au nord. Tandis que bien des participants se lancent dans une nouvelle traversée Alpine, j'ai décidé de remonter en contournant les massifs au maximum et traverser Vienne. Je voulais voir Vienne, le tourisme en version accélérée fait aussi partie de l'aventure. C'est avec un bonheur non dissimulé que je quitte l'humidité des montagnes pour retrouver un climat certes chaud mais sec, avec la promesse de nouvelles frontières, je traverse la République Tchèque par des petites routes avec une brève pause en Pologne afin de pointer au CP3.

Les arrivées aux CP ont cette particularité d’effet « entonnoir ». Quelque soit la route choisie par les participants, il arrive un point où tous les chemins se regroupent et les retrouvailles s'opèrent. L'occasion de se créer de nouveaux amis aussi. Quand j'arrive au pied du parcours, j'annonce aux quelques participants qui m'entourent que c'est mon anniversaire, et ils me le rendent bien! Les mots chaleureux, la sympathie sincère, ce moment privilégié de fêter un jour heureux au cœur de l'aventure d'une vie.

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C'est ici que les choses sérieuses commencent. La Transcontinental Race a ce pouvoir, quand tu crois que tu as passé le plus difficile, il y a toujours quelque chose de plus difficile qui arrive. Le vent se lève, et comme à son habitude, pas dans le bon sens. Ma route me fait redescendre entièrement sur la République Tchèque, puis sur un passage en Slovaquie par Bratislava où je ferai mon troisième et avant dernier arrêt à l’hôtel, ensuite une nouvelle traversée m’attend, la Hongrie, pour enfin accéder à l’inconnu: les Balkans et mon entrée en Bosnie.

La route qui devait filer tout doux s'avère bien plus compliquée, le vent ralenti tous les pronostiques et de simples bosses en obstacles deviennent épuisantes. Les camions menaçant commencent à faire leur apparition et les premières meutes de chiens errant entrent également en action plus tôt que prévu, dès le sud de la Hongrie j'ai le droit à mes deux premiers rappels à l'ordre, c'était juste un entrainement.

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Dans les Balkans tout est différent. N'attendez pas forcément la route là où vous l'aviez prévue. Les stigmates de la guerre sont encore bien présent et parfois vous ne trouverez que le vestige d'un pont là où autrefois une petite route était encore entretenue. Mais toujours présente sur nos cartes.

Même si j'étais prévenu de rester au maximum sur les routes principales, quelques passages gravel et même un col en pleine forêt arrive en bonus, les commerces se font rares, l'ambiance plus rude, le relief se reforme, l'humidité revient. Payer peut aussi poser des problèmes, il faut commencer à oublier sa carte bleue et entrer dans le monde du tout Cash. Et à chaque pays sa monnaie, ça serait trop facile sinon.

Sarajevo approche, les chiens se font plus féroces et mes sprint pour les éviter toujours plus dans l'adrénaline, le ciel est menaçant, les villes aux murs criblés d'impacts d'obus sont là, je n'arrive pas à savoir si c'est indécent de passer comme une fleur au milieu de ce lourd passé si présent ou si justement c'est faire vivre le plus naturellement du monde ces lieux en y passant comme partout ailleurs. Malgré tout, c'est l'euphorie. L'entonnoir, à l'approche du CP je retrouve du monde, heureux de constater que chacun continue son aventure, Thomas, Charles, Jean-Yves, Seb, et tant d'autres. Le CP 4 est validé au bout de 12 jours et 21 heures, je peux maintenant réellement entrer dans l'Enfer des Balkans.

La dernière partie se fera comme en apnée.

Plus vous descendez au sud, plus tout parait plus conséquent.

Le trafic est encore plus intense, les chiens encore plus menaçant, les ravitaillements encore plus compliqués et il y fait encore plus chaud.

J’ai manqué d'expérience pour savoir déceler les bons des mauvais choix de route, anticiper les changements de monnaie, repérer les bons endroits pour me ravitailler ou avoir du réseau wifi afin de faire le point et prendre des décisions réfléchies.

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Quand la forme physique va très bien et que l'on voit son chronomètre avancer laborieusement par simple 'fait de route', le moral en prend un coup. C'est à ce moment qu'il faut rester calme et assumer ses mauvais choix pour tenir, tenir jusqu'au bout. Qu'importe si les 50 km de route sympa prévue se transforme en chantier de cailloux, si la ville attendue pour manger ne propose aucun service en dehors d'un bar routier sans nourriture, si la longue route en creux de vallée planifiée vers la frontière grecque s'avère inexistante.

Tout se joue au moral, à la gestion de la fatigue. Ici, c'est ma compagne qui a fait un travail fantastique.

Si sur le papier la Transcontinental Race est une course en solitaire, il faut admettre qu'une grande partie des participants ont ce qu'on appelle un 'dolwatcher' attitré, quelqu'un qui va vous suivre plus assidument que les copains, qui va être un peu comme votre ange gardien 24h / 24H et surtout votre interlocuteur 'unique' afin de rester concentré sur sa course. Dans mon cas ce fut ma compagne qui s'était déjà prise au jeu l'an passé. Me connaissant parfaitement, elle a toujours su trouver en quelques mots rapides les bonnes formules pour me relancer, pour relativiser une situation, ou bien me confirmer que j'étais dans le pétrin encore quelques km, par exemple.


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Qu'importe, derrière le chaos des villes, des Mercedes Albanaises omniprésentes, la saleté des rues, reste le reste. Si l'effet de masse est repoussant, les individualités sont touchantes, chaleureuses, hospitalières.

Les campagnes fantastiques, immenses, belles, simples.

L'apothéose de ce sentiment ambivalent fut l'Albanie, je n'arrive toujours pas à regretter mes mauvais choix de route ralentissant ma progression finale tant j'ai gagné en rencontres locales inoubliables et paysages tout droit sortis des livres d'aventures.

Le jour n'est pas tout à fait levé à Kodovjat (Albanie), j'ai réussi à dormir deux heures sur une terrasse de café.

Il me reste 295 km et 4000 m. de D+ jusqu'à la ligne d'arrivée, c’est le jour du 'closure' officiel. Les heures passent, mes doutes du midi sur mon heure d'arrivée s'effacent, plus rien n'a d'importance, j'arriverai ce soir.

Quand on passe la frontière Grecque, rien n'est joué, ok. Mais rien ne peut plus vous arrêter. Fatigue, dernières blagues de chiens ou commerces fermés parce que vous avez la bonne idée d'arriver le jour de la fête nationale ? Des broutilles. J'arrive. Exténué, sur un nuage, esquivant les dernières embuches, un dernier coup de fil à Alain qui me confirme que bières et victuailles m'attendent, j'arrive.

3968 km, 33725 m. D+, 17 jours à travers l'Europe, nous sommes le 15 Aout, Meteora, c'est la revanche.