La dernière échappée #6
Imaginez un instant qu'il n'y en aurait plus qu'une, une seule sortie.
Un seul jour, un dernier chapitre, un dernier tour. De tous les kilomètres parcourus et de toutes les routes montées, qu'est-ce qui vous ramènerait à en faire l'expérience, une toute dernière fois?
LE MYSTÈRE MONGOLIEN
Extraordinaire fabriquant de chaussures pour cysliste // @quocphamshoes
Il y a quelques années j'étais à un salon dédié au vélo en Allemagne et j'y ai rencontré un homme venant de Mongolie. Je l'ai vu pour la première fois dans mon champs de vision périphérique pendant qu'il parlait à un autre revendeur. Ou plutôt, mon œil a été happé par les mouvements rapides de ses mains alors qu'il lançait nerveusement une carte de visite entre ses longs doigts. À un moment donné, il a même laissé tomber la carte et a passé de longs moments à essayer de la ramasser sur le sol où elle s'était prise entre les pieds de deux tables.
Ma conversation terminée, je me suis retourné pour rencontrer l'homme juste au moment où il présentait la carte maintenant récupérée. 'Mon nom est Narnaa ', dit-il en s'arrêtant pour s'assurer que j'avais bien saisi son nom.
Après quelque temps d'une conversation polie à propos du salon, il m'a dit que non seulement il venait de Mongolie, mais aussi que son entreprise aimerait beaucoup devenir notre distributeur.
'En Mongolie?' ai-je demandé, un peu surpris. Après trois jours sous la lumière artificielle j'aurai eu du mal à placer l'Allemagne sur une carte. ' Oui' il repondi, 'bien sûr ! '.
Sans vouloir paraitre impolie et perdre du temps, j'ai demandé si le cycliste de route était une activité populaire en Mongolie. 'Non, pas de route, urbain - la ville !' il répondit, se balançant gayement sur la pointe des pieds.
J'ai franchement essayé de me rappeler ce que je sais de la Mongolie. Je ne pouvais pas pensé qu'il y avait un marché suffisament grand en Mongolie pour justifier qu'un revendeur devienne le seul distributeur de la ville en chaussure pour cycliste.
Même si nous n'avons jamais réussi à nous revoir après le salon, Narnaa s'est avéré être un conversationnaliste captivant. Ses descriptions de la Mongolie et de ses nombreuses opportunités pour faire du vélo, l'une d'entre elle n'étant pas moins que la Route de la Soie, à laissé une marque profonde et encrée en moi.
Depuis ce jour, dès que j'en ai l'occasion, je revisite les liens et les informations touristiques sur le web, dans un dossier simplement appelé 'La Course'. Sera-t-elle ma dernière course ? Je ne le sais pas. J'espère que non, mais la Route de la Soie est longue, sauvage, et clairement un bon choix de carrière pour les cyclistes ambitieux qui cherchent à élargir leur horizon.
Heureusement, l'Internet offre une mine d'informations aux cyclistes curieux qui cherchent à parcourir tout ou partie de l'itinéraire qui s'étendait autrefois de la péninsule coréenne et du Japon à la mer Méditerranée. Le livre Lands of Lost Borders est particulièrement digne d'intérêt : Out of Bounds on the Silk Road, de Kate Harris, qui raconte le voyage de l'auteur sur la Route de la soie de Marco Polo en vélo. Bien que, contrairement au célèbre voyageur italien, j'espère terminer mon voyage en un peu moins de 24 ans qu'il n'en a passé à voyager à travers l'Asie.
Ainsi, entre obligations professionnelles et familiales, avec des clics furtifs dans des pièces obscures, je continue à planifier mon aventure.
Que je prenne la route du Pamir jusqu'au ' toit du monde ' ou que j'emprunte les routes de terre des montagnes enneigées de l'Altaï, que je dorme dans des yourtes sous un ciel couvert, que j'échange des barres énergétiques contre un endroit pour me reposer, je sais qu'un jour je serai bientôt fatigué de planifier.
Un jour je roulerais sur la Route de la Soie.
CLAIR DE LUNE & BON TEMPS
Constructrice de vélo, Écrivaine, Éleveuse de chats // @money_melon
Bien que je sois une introvertie naturelle et que l'une des raisons pour lesquelles j'aime faire du vélo est que je peux le faire seule, pour ma dernière course, je ferais le Dunwich Dynamo. Le Dun Run est un mini audax, une balade nocturne de 190 km le samedi de juillet le plus proche de la pleine lune, où les gens font du vélo de l'est de Londres à l'aube de la côte de Dunwich qui s'érode lentement. Je le fais sans aucune contre-partie, pour personne, sauf pour les emmerdes et les rires.
Le vendredi soir précédent, je me suis joint à mes amis les plus proches pour faire le plein de glucides, manger une montagne de pâtes au blé complet et boire pas mal de bouteilles de vin rouge. Nous sommes joyeux mais sérieux quant au sujet de la route qui nous attend, alors je vais me coucher à une heure raisonnable. Le matin, je mange du pain de mie, je fais la lessive, j'écoute un podcast, puis je fais une sieste.
La météo est plutôt clémente - Joie ! Je peux porter mes cuissards courts. Il y a des centaines de personnes réunies au parc de London Fiels pour le départ. Nous avons une demi-pinte de bière artisanale locale pour fêter ça, et quand 20h sonne, nous partons. J'aime, j'aime tellement l'engouement des gens qui quitte le parc, qui s'affairent autour de moi, qui prennent le contrôle des routes, qui deviennent le moyen de transport dominant pour une journée par an. Toute sorte de gens, sur tout type de vélo font la course, du stéréotype homme d'âge moyen en lycra jusqu'au si spécifique vélo Grand-Bi. C'est exactement ce que le cyclisme devrait être, un sport où tout le monde est le bienvenu, où nous avons tous notre place, et où nous commençons une aventure tous ensemble.
Pédale vers l'extérieur de Londres est libérateur - je sais que c'est chez moi, mais c'est aussi une source de stress et cette nuit je suis accompagnée par tout une communauté de personnes qui ont un point commun avec moi : nous sommes assez fou pour oublier de dormir et pédaler à 120 miles de la ville . Certains jouent de la musique énergique grâce à des enceintes, d'autres ont des guirlandes lumineuses attachées à leur vélo, et quand le soleil se couche, une mer de lumières rouges clignotantes apparaît devant moi, me plongeant hypnotiquement dans la nuit.
La foule diminue à mesure que la lune se lève. Certains amis sont partis, leur cadence est un peu plus élevée que la mienne - je n'ai jamais été coureur et je préfère rouler au rythme de mon propre tambour, quel que soit l'époque. Mais l'homme que j'aime reste avec moi, nos cœurs s'entrelacent. Je sais que ses jambes sont plus fortes que les miennes, mais ce n'est pas le but de cette course. À ce moment, je me surpasse parce qu'une fois que le sommeil s'installe dans mes cuisses, je vais devenir paresseuse. J'ai l'impression que le temps commence à manquer, parce qu'il manque.
Il y a des aires de repos le long de la route, et même des passants qui nous encouragent - leur enthousiasme à encourager quelques milliers de cinglés est touchant. Vers minuit, j'allume ma propre musique. J'ai fait une playlist de musiques des années 80, du genre que l'on trouve dans un film Rocky, et une bonne partie de la nuit ressemble à ce mix. Il reste des instantanés de certains endroits - le pub qui nous offre des jetons gratuits, la voiture qui ralentit et nous demande pourquoi nous roulons à cette heure impies (pourquoi diable conduisez-vous à cette heure impromptue !?), le mauvais tournant qui a fini par devenir un raccourci. Mais la fatigue s'installe vers 3 heures du matin, et je prends une autre gorgée de café et une bouchée de ma boule d'énergie pekmez avec noix de coco faite maison. Mes phares de roue semblent clignoter à temps avec Van Halen, et je continue de pédaler, de me demander où suis-je ? Quand est-ce que j'arrive ? Pourquoi est-ce que je fais ça ? Pourquoi c'est ma dernière course ?
Je me lève de ma selle pour monter une colline, et le soleil se lève aussi. Nous retrouvons des amis qui délirent par manque de sommeil et qui ont décidés que le whisky va nous sauver. Proche, si proche, je me dis. Ne regarde pas le Garmin, il ment. Juste quand tu penses que tu es là, tu ne l'es pas. Une autre colline vous attend. Et une autre. Et dans mon état de zombie, j'entrevois... la mer ? C'est la mer ? Je peux le sentir, et je ne peux pas pédaler plus fort que je ne le fait déjà, mais mon cœur gonfle quand je vois la marée monter, l'odeur de l'eau salée me remplir les narines, et je prie en silence pour que les mouettes qui pleurent ne me chient pas dessus. Il y a déjà des gens sur la plage de galets, le cuissard à bretelles enlevé, le FPS appliqué, allongé au soleil et plongeant dans l'eau.
Décomposée mais heureuse, je marche à côté de mon vélo sur le sable et les cailloux, le plus prêt que j'aie jamais été à me précipiter dans la bonté froide et saumâtre, à sentir la chair de poule m'envahir le dos, mes cheveux mouillés et lourds, et le soleil jaune qui s'équilibre sur mon visage. Je suis à la fin. Nous le sommes tous.