Le premier élément différenciateur de ce rallye au Kenya était les étapes : les plus difficiles que les voitures aient à endurer, toutes saisons confondues. Elles étaient plus proches de celles du Dakar (ce rallye longue distance dont le nom n'est plus vraiment en lien avec les épreuves qui se déroulent désormais en Afrique du Sud) que du rallye Corse, par exemple.

Le sable du désert, la boue des plaines verdoyantes, les pierres affilées du réseau routier non damé... Rien que le meilleur pour mettre les voitures à l'épreuve ! Le tout était de trouver l'équilibre entre vitesse et résistance mécanique pour ménager les voitures tout au long des interminables épreuves. Mais c'était l'occasion pour les constructeurs de montrer de quel métal ils se chauffaient.

C'est exactement ce que le Chilkoot Safari devait être : un parcours mêlant sable, gravier et boue. La première étape dans le sable avait déjà mis les mollets et les vélos à rude épreuve, mais les vents maritimes puissants firent de cette introduction une véritable spéciale. Et les choses n'allèrent pas en s'arrangeant au fur et à mesure que les cyclistes s'approchaient du massif des Maures.

Cette vaste région sauvage à l'ouest de Saint-Tropez tire son nom du mot provençal mauro qui fait référence à la couleur sombre de ses arbres. C'est justement entre les pins maritimes que se trouve tout un réseau de chemins de graviers tracés par les fermiers et les forestiers qui viennent prélever le châtaignier et autres essences, ainsi que le liège pour fabriquer les bouchons. Ces méandres étaient exactement ce à quoi la Compagnie des Pionniers de Chilkoot aspirait.

Tubes cassés, pneus déchirés, graviers et pierres nous attendaient. Tout comme leurs homologues motorisés, les coureurs ont dû trouver le juste équilibre entre vitesse et ménagement de la machine. Les plus rapides du groupe ont crevé à plusieurs reprises. Un autre a dû scotcher son pneu arrière, déchiré jusqu'à l'os.

Pendant ce temps, la boue faisait silencieusement son travail de sape dans les freins à disque. Le sable gluant encrassait les étriers et rendait les patins totalement inopérants. Plusieurs coureurs se sont ainsi retrouvés sans frein. Un dernier n'a eu d'autre choix que de faire appel à une aide extérieure pour récupérer une seconde batterie de dérailleur Di2, la première ayant succombé aux assauts des intempéries.

Le climat tropical du Kenya et sa longue saison des pluies avaient beaucoup de conséquences pour les pilotes et copilotes du rallye, notamment l'humidité, la chaleur, la boue et les torrents.

Pour sa part, la Compagnie des Pionniers de Chilkoot a dû faire face à des pluies diluviennes lors du regroupement aux Salins d'Hyères. Si vous regardez des images des véhicules qui ont parcouru ce rallye d'Afrique de l'Est, vous ne manquerez pas de remarquer leur Snorkel, cette entrée d'air déportée sur le toit qui permet aux véhicules de traverser rivières et torrents. C'est exactement ce type d'équipement dont les coureurs cyclistes ont eu besoin au départ de leur épreuve.

La pluie ne s’est pas arrêtée une minute de tomber. Au contraire de certains vélos : un des nôtres, xxxxxx, utilisait un vélo high-tech avec cadre et roues en carbone, et dérailleur électrique Di2. Lorsque la pluie a fini par rentrer dans le cadre, il ne pouvait plus changer de pignon. Et à l'image des coureurs automobiles, il a dû tenter une réparation de fortune sur le bord de la route.

Le massif des Maures est certes près de la mer, mais les vallons et creux de son relief, ajoutés à la densité de sa forêt et à la pluie, ont fait rapidement chuter la température. Les mains gelées et les freins défaillants ont poussé plus de la moitié du peloton a abandonné rapidement lors de la première journée.

C'en était assez pour les Pionniers qui décidèrent de se diriger ensemble vers Collobrières, le village qui inspira à Jean Bobet La Volupté. La question était de savoir si nous pourrions y trouver un patron de café suffisamment fou pour laisser une bande de cyclistes boueux et trempés jusqu'aux os franchir son seuil!

Le rallye Safari était le seul événement du championnat du monde des rallyes sur routes ouvertes du fait que les étapes, extrêmement longues, se déroulaient en plein milieu de nulle part, sur des pistes sans signalisation. Il était très courant que des compétiteurs se perdent.

Le « safari-vélo » de Chilkoot a voulu suivre ce même principe. Mais on aurait tout aussi bien pu parler d'une course d'orientation : les coureurs se pourchassaient les uns les autres, dans les méandres des chemins boisés, sous une pluie battante, au milieu de la brume et du brouillard, cherchant leur chemin à chaque intersection.

Des tracés GPS avaient bien été remis à ceux qui en utilisaient, mais essayez donc de lire un écran de 5 x 2,5 cm sous une pluie diluvienne en rebondissant sur les graviers gros comme des pierres d'un chemin du massif des Maures ! Il ne restait bien souvent que deux options : faire un effort de mémoire pour se souvenir du roadbook et faire confiance à son instinct, ou attendre le coureur suivant. Nous avons grappillé quelques minutes dans les descentes... mais nous les avons tout aussi allègrement gaspillées en nous perdant.

Le rallye Safari aujourd'hui n'est plus. Ses longues étapes d'endurance ont eu raison des équipes qui leur préfèrent maintenant des courses plus modernes, plus courtes et plus sensationnelles pour les spectateurs. L'aventure sauvage en Afrique est devenue une extravagance.

Si d'aventure vous parcouriez un album photo de ces rallyes historiques, ne vous laissez pas tromper par le ton pastel des clichés : gagner ce rallye équivalait pour les constructeurs à remporter le championnat du monde. Terminer cette aventure, l'une des plus difficiles et des plus gratifiantes des courses automobiles, était déjà un exploit en soi. À tel point que des rumeurs circulent aujourd'hui sur son éventuel retour en 2019.

De son côté, le rallye Safari Chilkoot a inauguré sa première en 2017. Mais pour ceux qui ont eu la chance d'y assister et de prendre une bière avec les coureurs au retour sur la plage des Salins d'Hyères, cette aventure pourrait bien devenir la date la plus importante de leurs futurs calendriers.