Accélération Maximale Rallye Monte Carlo
Lorsque nous avons atteint l’avant-dernier virage des fameux lacets du col de Braus, les gendarmes étaient en train d’arrêter les véhicules. La route s’était transformée en un interminable parking.
Au-dessus des épingles à cheveux, ce que nous avions d’abord pris pour une glissière de sécurité était en fait un alignement de camping-cars de deux kilomètres de long. Les irréductibles étaient déjà prêts!
Au carrefour où s'achevait l’étape, un autre groupe de gendarmes nous avisa qu’à partir d’ici, l’accès était uniquement réservé aux piétons. Nous avons alors déchaussé, sorti les chaussures de nos sacs et porté nos vélos jusqu’en haut, sous le regard perplexe des autres fans.
Des hélicoptères tournoyaient dans le ciel. Puis nous avons entendu, comme venant du ciel, un bruit de tronçonneuse dont on aurait enlevé l’échappement et que l’on pousserait au maximum de ses capacités. Le bruit que chérissent les accros de la mécanique.
Bienvenue au Rallye Monte-Carlo.
Le Monte-Carlo occupe une place à part dans l’histoire des rallyes. Il est un peu aux rallyes ce que Monaco est à la F1 : il inaugure la saison d’un sport suivi mondialement et qui draine des millions de pétrodollars.
Puis, tout comme le vélo, c’est une activité de plein-air, ce qui change beaucoup de choses.
Oubliés les parasols, vive les feux de camp à 1 000 m d’altitude ! Troquez aussi les super-yachts amarrés à proximité de La Rascasse pour des tentes et de l’accrobranche !
Et le Monte-Carlo garde aussi un atout dans la manche notre Col de Turini
La fameuse « nuit des longs couteaux » est certainement l’étape la plus connue du rallye : elle se court de nuit depuis le col de Turini, par la Bollène-Vésubie. Les longs faisceaux des projecteurs des voitures sont comme autant de couteaux qui déchirent l’obscurité en gravissant le col.
C’est un véritable lieu de pèlerinage pour tout fan qui se respecte. Lorsque les glorieuses Groupe B battaient ici l’asphalte dans les années 1980, l’ambiance était électrique : fans en folie, route enneigée et fumigènes rouges. Anticipation, bruit, dérapages et adrénaline.
Les fans de rallye ont beaucoup à nous enseigner en matière de survie en montagne... Nous, cyclistes, nous n’avons pas l’habitude de rester sur le bas-côté.
Nous avons choisi notre premier poste d’observation à l’ombre, dans les lacets qui s’enroulent autour de la montagne. Nous avons compté en plein virage trois feux de camp et un barbecue.
Les volutes de fumée qui s’élèvent dans le ciel au petit matin nous font penser aux grands concerts des années 1980. On trouve de tout sur le bord de la route : des chaises de camping, des glacières, des réchauds à gaz, des sacs à dos et plus de GoPro que sur les rayons d'un magasin.
Parmi les fans, nous trouvons des Italiens qui ne souffriront aucunement de déshydratation, un groupe bigarré d’Australiens et d’Anglais, ainsi qu'une poignée de Finlandais apparemment très calmes – n’oublions pas que la Finlande est une autre grande nation de rallyes, bien que les pilotes là-bas soient globalement des nationaux. Les fans français de rallyes (comme ceux de cyclisme) ont de quoi être fiers. La renommée des deux Sébastien va bien au-delà des frontières de l’Hexagone.
Sébastien Loeb est certainement le plus connu. Il est le seul pilote à avoir remporté autant de victoires dans l’histoire de la WRC, avec neuf championnats successifs en poche. Et en Citroën en plus ! Double cocorico ! Maintenant que le premier Sébastien est à la retraite, c’est Sébastien Ogier qui a pris la relève et remporté les cinq dernières éditions d’affilée.
Aujourd’hui, Ogier est une fois de plus en tête et il ne reste que quatre étapes. Les fans ont parfois l’honneur de pouvoir jouer un rôle actif. Comme ce vendredi dernier, lorsqu’Ogier a demandé l’aide de ses compatriotes gapençais pour sortir sa voiture d’un fossé.
À l’étape d’aujourd’hui, un fan d’un autre genre a lui aussi été très actif. Nous avons vu un homme s’approcher de nous et sortir un gros fumigène rouge qu’il a allumé juste avant l'arrivée d’Ogier. La fumée a envahi la route. Il a fallu qu’Ogier emploie toute sa dextérité pour éviter de foncer dans un groupe de spectateurs qui se tenaient à l’extérieur du virage.
L’homme au fumigène était déjà parti... Mais il était clairement scandinave, voire Estonien, comme Ott Tänak, second au classement. Parfois, les passions, lorsqu’elles débordent, ne sont plus aussi louables.
La bonne nouvelle est que cet incident s’est produit au premier passage, avant le second, beaucoup plus important : la Power Stage. Cette spéciale montagneuse est l’occasion pour les poursuivants de grappiller quelques points supplémentaires, en poussant leur véhicule dans leurs retranchements.
Nous avons suivi la route entre les fans, observant les traces de pneus sur l’asphalte pour trouver le meilleur endroit pour observer la finale.
En un kilomètre de distance, nous sommes passés de la grisaille humide au soleil radieux. Voilà encore une raison qui explique pourquoi ce rallye est si particulier. Les pilotes doivent adapter leur véhicule et leur conduite aux changements brusques de conditions, du soleil aveuglant à la neige et la glace à l’approche du col.
De l’accélération maximale aux glissades contrôlées en quelques virages seulement.
L’appel du soleil est trop fort et nous choisissons alors un spot en surplomb et à l’extérieur d’une épingle à cheveu dont l’entrée et la sortie rapides doivent être savamment négociées. Nous ne sommes pas bienvenus sur le bord de la route, nous autres cyclistes. Un endroit habituellement idéal pour quelques instants de contemplation silencieuse est transformé en un stade improvisé.
Le Rallye Monte-Carlo n’est pas exactement un lieu paisible. À moins que vous ne fassiez comme certains une petite sieste derrière la bâche servant de toile de tente improvisée. Le pastis n’est peut-être pas étranger aux ronflements de ce bienheureux.
La première voiture devrait passer vers 12h18. Nos amis de la tente commencent à préparer leur repas sur le grand feu (eh oui, il y en a plusieurs...) dès 11h30. Le pastis est mis de côté et trois bouteilles de vin rouge font leur entrée. Difficile de choisir entre les deux spectacles qui s’offrent à nous : entre nos amis cuistots et le balai des hélicoptères de VIP qui atterrissent à l’auberge du col de Braus juste en dessous.
Enfin nous entrons dans le vif du sujet. Moteurs ronflants, 380 ch, becquets arrière surdimensionnés, disques de frein rouges et passages de vitesse qui pétaradent. Toute cette agressivité, ce contrôle et cette puissance mécanique s’évaporent en un clin d’œil. Alors que le bruit de la première voiture s’évanouit, la frénésie gagne le public dans l'attente de la seconde voiture.
Le chemin pour entrer dans la compétition automobile de haut niveau est pavé d’embûches. Nous nous sommes laissés dire qu’il y a dix ans environ, un jeune pilote avait dû réunir trois millions auprès de sponsors pour pouvoir concourir en WRC. Et avec la prolifération des chaînes payantes, regarder le spectacle depuis chez soi n’est plus aussi facile.
C’est peut-être aussi pour cela que les fans sont si nombreux à se presser sur le bord des routes. Et puis, vous n’êtes pas dans un stade : si vous voulez vous lever et partir, aucune barrière ni aucun guichet ne vous en empêchent. Une fois de plus, la nature est le théâtre de la lutte sempiternelle de l’homme contre la machine. Finalement, nous ne sommes peut-être pas si différents...