La dernière échappée #9

Imaginez un instant qu'il n'y en aurait plus qu'une, une seule sortie.

La dernière échappée #9

Un seul jour, un dernier chapitre, un dernier tour. De tous les kilomètres parcourus et de toutes les routes montées, qu'est-ce qui vous ramènerait à en faire l'expérience, une toute dernière fois?

La dernière échappée #9

À LA POURSUITE DU DÉTOUR PARFAIT


Mountain-biker & Photographe // @mattwragg

Un dernier tour ? C'est une excellente question qui porte à réfléchir. Après tout, s'il nous restait toute une vie pour rouler, en quoi ce que nous faisons maintenant aurait-il de l'importance ? Mais encore une fois... c'est l'occasion de réfléchir à ce que vous aimez vraiment dans le vélo. Est-ce l'aventure, la liberté, l'effort physique ? Pour moi, c'est beaucoup plus simple que ça : J'adore faire du vélo. Ce que je veux dire, c'est que j'adore l'acte même de rouler à vélo.

Je ne suis pas un homme si raffiné. Je titube dans ce monde tel un homme maladroit aux mains lourdes et au sens de l'équilibre parfois sournois. Pourtant, sur le vélo, je peux m'élever au-dessus de tout cela. Il y a ces moments de grâce délicats et furtifs. Des moments où je peux faire danser le vélo en dessous de moi, où j'ai l'impression de pouvoir en faire ce que je veux, comme je veux. Et si je ne peux le faire qu'une seule fois de plus, c'est tout ce dont j'ai envie.

J'ai toujours été un 'mountain biker' dans l'âme. Ça a toujours été et sera toujours mon premier amour, donc cela parait juste que les choses se finissent ainsi. Le lieu n'a pas d'importance, le moment non plus. Mais le sol, la terre, sont si importants à mes yeux. La chose la plus précieuse pour un VTTiste comme moi, c'est le terrain. Un sol mou et profond qui se répand doucement sur vos tibias pendant que vous roulez. Ce sentiment est à peu près aussi proche que la joie vive et pure de l'enfance que vous ne retrouverez jamais une fois la puberté passée. C'est la seule chose qui me manque le plus dans le sud de la France : il n'y a pas assez de boue.

La dernière échappée #9

Il fut un temps, il y a environ une dizaine d'années, où les habitants de Chicksands (une petite région située à une heure au nord de Londres, au Royaume-Uni) ont commencé à faire des sorties sur ce qu'ils appelaient des 'pistes glissantes'. Le sol y était toujours incroyable - profond, mou et sableux. Les traces n'étaient pas grand chose. De l'arrière du parc à vélos, nous nous dirigions vers la forêt pour trouver une pente isolée et tracer quelques virages entre les buissons. Et c'est tout ce qu'il fallait : de la bonne terre, quelques coins perdus et un groupe d'amis.

Une des raisons de cette splendeur était l'absence de conséquences. Le sol était si mou et clément qu'on pouvait s'éclater à dévaler les chemins et les remonter tout en riant. Nous pouvions nous dépasser encore et encore jusqu'à ce que nous dépassions nos limites et que nous nous retrouvions en morceaux. C'était tout ce que j'aimais dans le cyclisme au même endroit - il n'y avait pas de destination ou de but, juste le simple fait d'essayer de prendre un virage rapide et plus serré, de mettre la barre au ras du sol lors des demi-tours, de jouer avec la trajectoire d'arrivée et de sortie, de tenter plusieurs virages tout en poursuivant cette sensation toujours difficile de virage parfait. Que nous n'ayons jamais pu trouver ce détour parfait n'a jamais eu trop d'importance. Il ne s'agissait jamais de vitesse, de temps ou de toute autre mesure, mais simplement de la simple sensation de faire virevolter le vélo sur les chemins pendant que la terre venait gentiment frotter vos tibias. Et aussi rire comme un fou quand quelqu'un se trompait et se retrouvait dans un buisson ou sur la tête.

Donc pour ma dernière sortie, je voudrais juste un groupe de bons amis et un flanc de colline avec un sol riche et profond. Je passerais mes dernières heures de vélo à pédaler après le virage parfait, à rire de chacun tout en filant à travers les buissons, à discuter et à rouler jusqu'au coucher du soleil. Nous devrions alors retourner aux voitures à pied au crépuscule.

La dernière échappée #9

MISSION INACHEVÉE


Tech Writer à CYCLING WEEKLY // @PaulNorman

J'ai une tâche inachevée avec le Passo Giau. Elle n'a peut-être pas ce côté mystique de l'Alpe d'Huez, mais elle a plus d'épingles - 29 d'entre elles - et son sommet est plus haut de 400 mètres culminant à 2236m. Lorsque les marques invitent les journalistes à des lancements, elles choisissent généralement des lieux impressionnants ou imprégnés de légendes du cyclisme. Il y en a peu qui englobe autant les Dolomites. Berceau de l'ultime épreuve du Giro d'Italia de 1973, le Passo Giau figure dans le scénario classique de cette course, 'The Stars and the Water Carriers'. A l'époque, il n'était pas encore pavé, Merckx et Gimondi se battant sur le gravier dans un tourbillon de grimpeurs espagnol en colère.

Plus récemment - maintenant goudronné - il est en vedette du Giro 2016, avec la Maglia Rosa d'Andrey Amador distancée et perdue dans la montée et remise à Steven Kruijswijk, presque vainqueur. Le commentaire du Giro sur l'étape décrivait l'ascension comme 'il terribile Passo Giau'.

Alors lorsque j'ai été invité au lancement d'un nouveau vélo par une célèbre marque italienne, l'attrait du Giau à l'horizon a été irrésistible. Après le petit-déjeuner, je me suis excusé de ne pas participer à la courte course au décollage et je me suis dirigé tout seul vers le col. Il n'y a pas de route plate dans les Dolomites, j'avais donc un bon millier de mètres et quelques heures de route dans les jambes avant d'arriver au Giau, avec ses panneaux me signalant ces 29 épingles devant moi.

La dernière échappée #9

Avec ces images de 1973 en tête, je me suis forgé sur des pentes inférieures. Il m'a fallu attendre jusqu'à ce que j'atteigne la barre des 10 avant que quelques détails ne me viennent rapidement à l'esprit : Je n'étais pas Merckx, j'avais mal aux jambes, j'avais faim et je manquais d'eau. Et il restait encore 19 épingles. La sortie organisée que j'avais abandonnée avait d'autres avantages. Elle s'est terminée dans un café où l'on m'a servi à manger et à boire. Réalisant que je n'avais pas de barres énergétiques avec moi, je pris quelques petites brioches du buffet de l'hôtel avant de repartir.

J'en ai mangé quelques unes avant d'atteindre le Giau, mais en fouillant dans ma poche je découvris que ma dernière brioche était tombée sur la route en chemin. Il n'y avait donc rien d'autre à faire que de continuer à se diriger vers le sommet, à la recherche de la civilisation. Coude après coude, le soleil battait dans la vallée sans air et la montée semblait plus raide et plus longue entre chaque virage et chaque épingle plus tranchante et plus raide que la précédente. Il n'y avait aucun signe de vie avant le virage 21, avec au bout d'un parking vide un téléski et un restaurant.

Une grande assiette de pâtes, une bouteille d'eau et une tranche 'd'apfelstrudel' plus tard et je me sentis bien plus humain. J'étais prêt à continuer. Malgré le surpoids considérable que je venais de prendre, ces huit derniers virages semblaient remarquablement faciles à négocier et la route était désormais en descente... En regardant mon application Strava à mon arrivée, c'était impressionnant de voir à quel point j'avais grimpé lentement le Giau, surtout avec la pause déjeuner à mi-parcours.

Ma dernière sortie serait donc de remonter le Passo Giau, mais cette fois-ci avec une voiture pour me fournir en gels, en bouteilles et pour me pousser des cris d'encouragement quand je me sentirais défaillir. Et ce serait sur un vélo électrique, pour grimper le Giau un peu plus vite lors de ma dernière escapade et espérer ressentir ce que c'est que de grimper comme Merckx.