Le Col de Vence d’Anne Pesce
Tous les matins depuis plus de 15 ans, Anne Pesce répète le même rituel. Quelle que soit la saison, quelle que soit la météo, à 6h, alors que le jour se lève à peine ou qu’il fasse totalement nuit, elle franchit le seuil de son appartement et enfourche son vélo pour gravir le col de Vence. L’exercice est bien rôdé, presque machinal. Après avoir réalisé une petite boucle de mise en jambes sur le plat, elle passe devant la fontaine de la Foux, cette source d’eau bien connue des cyclistes, pour escalader les 650 mètres de dénivelé positif.
Le col de Vence culmine à 963 mètres, son ascension est d’un peu moins de 10km, certains passages à près de 9% représentant la principale difficulté. Peu arborée, la montée n’offre pas le moindre passage à l’ombre, et les locaux évitent soigneusement le col de Vence en été. Ou alors tôt le matin. La vue sur la côte de Nice à Antibes y est imprenable. Cette ascension reste un col mythique de la région… la realiser quotidiennement n’est pas une sinécure.
Pourquoi un tel entêtement, pourquoi la récurrence d’un même itinéraire, un protocole inlassablement répété jour après jour ? En observant, en scrutant l’œuvre et la carrière d’Anne Pesce, on comprend mieux son obstination. Cézanne est son père dit-elle avec beaucoup d’humilité. Sa peinture l’inspire fondamentalement, profondément. Peut-être n’est-ce pas un hasard si, à l’instar du peintre d’Aix en Provence elle cultive un tel rite.
Cézanne le solitaire se dirigeait tous les jours vers la montagne de la Sainte-Victoire, cherchant sans relâche les gestes picturaux pour exprimer le concave, le convexe, les cônes et cylindres de cette forme qui le fascinait. Cela lui a donné la vigueur de toucher la toile et de retrouver la couleur de l'air, son épaisseur dont dépendent les tons, découvrant ainsi la véritable palette de Sainte-Victoire.
« J'aime observer la lumière et ses variations, mais aussi la sensation du froid et de la pluie sur ma peau ».
C’est ce qui constitue la peinture d’Anne Pesce, elle se fonde sur une répétition exigeante et quotidienne pour absorber jour après jour des détails et des couleurs qu’elle ne soupçonnait pas jusqu’à cet instant. Elle est déjà entrée dans son atelier lorsqu’elle chevauche son vélo, seule sur les pentes du col. Elle crée déjà et la suite de son travail devant la toile sera la fidèle restitution de ces sensations qu’elle absorbe.
Anne décrit son œuvre comme une « traversée du paysage ».Elle défend l’idée que la perception du monde est propre à chacun, que nous n’en voyons pas les mêmes choses.Mais Pesce croit aussi que nos vies sont plus vastes et puissantes que nous l’imaginons. Elle nous invite alors à partager sa route, et de nous restituer ses expériences.
C’est ce qu’elle a toujours fait sur les mers, du Pôle Nord au Pôle Sud, d'Islande, aux quartiers de New York, et à présent sur ce Col de Vence, dont elle réitère inlassablement la montée. De cette observation profonde, de cet examen systématique des lieux et du moment où le soleil monte dans le ciel, elle choisit de composer avec trois couleurs; rouge, jaune, bleu. Ces trois couleurs sont celles du lever du soleil.
« Quand je pars tôt le matin, je regarde du côté de Saint Jeannet, vers l’Est.Tout est bleu si profond qu’il en devient noir. Dès que je serai vers le sud-ouest, il sera l’heure où peu à peu le ciel rouge teintera les verts des plantes, lentement le jaune inondera le blanc minérale des roches, et le bleu azur apparaîtra. L’hiver, lorsque j’arrive au sommet du col de Vence à 7h du matin, les couleurs au-dessus de la mer sont inouïes, au-delà de l’imaginable. Elles changent d’une année à l’autre, c’est à peine perceptible, mais je peux vous assurer qu’elles changent ».
On peut prêter crédit à son affirmation, Anne la solitaire qui consacre un temps infini à observer, à éprouver, absorber. Vient le moment de dévaler les centaines de mètres de dénivelé chèrement accumulés. « Le Col de Vence, c’est la sonate N° 32 de Beethoven. Il y a d’abord cette musique qui monte doucement, comme moi. Je gravis le col et puis il y a cette descente fantastique, à toute vitesse, le retour au pied de la montagne. »
En entrant dans Vence à l’heure où la population s’affaire autour des écoles, le contraste est saisissant. En quelques secondes, la solitude des hauteurs laisse place à une forte agitation. Anne gagne la vieille ville, sort de la poche arrière de son maillot un sac pour ramener du pain, passe chez son poissonnier « un amoureux de son métier », pour y choisir la pêche du jour, marque une pause chez Pierre qui tient la rôtisserie pour partager un café avec lui. Tous la connaissent ici et la prennent pour une gentille illuminée. C’est dur le col de Vence, la majorité de celles et ceux qui vivent au pied de la route n’ont même jamais expérimenté son ascension à la force des jambes.
Anne est debout dans le calme de son atelier. Devant le cadre de la toile, elle trace avec délicatesse et attention un cercle rouge. Elle reconvoque toutes les sensations, les couleurs les impacts, la rudesse ou la douceur de la météo de la sortie du jour. Un coup de brosse, un trait de pinceau ses gestes picturaux réinterprètent les couleurs, le mouvement, pour nous offrir une vue très singulière du monde, pour nous inviter à une extraordinaire traversée du paysage.
Izu Ani
Izu Ani est un chef réputé de la Côte d'Azur qui a l'habitude de faire des apparitions comme par magie au Café du Cycliste dans le port de Nice.
Pierre Léopold
Pierre est spécialiste de la drosophile, la mouche à fruit utilisée pour comprendre la génétique. Le cyclisme occupe une place essentielle dans la vie de Pierre.
Rémi Clermont
Rémi Clermont est le Directeur Artistique de Café du Cycliste. Il se livre ici sur la créativité et le rôle vital que joue sa pratique du cyclisme dans le processus de création.
Sandra Sommer
En tant qu'artiste, Sandra sait que l'inspiration peut débouler quand on s'y attend le moins.