Les Courses Disparues #6 : Tour de Corse
Il a fallu plus de 100 ans pour que le Tour de France passe enfin par la Corse. Sur papier, c'est un paradis pour les cyclistes, des routes côtières interminables, des sommets printaniers enneigés et du soleil pour vous accompagner une bonne partie de l'année. Dans les journaux, il a été jugé trop nerveux, trop risqué pour les organisateurs de la plus grande course cycliste du monde. Cependant, aucun papier ne peut exprimer à quel point ces routes sont fascinantes. Demandez à n'importe quel coureur qui était sur la ligne de départ il y a cinq ans ; il n'y a rien de tel.
Les cent années qui ont précédées ce départ historique étaient, bien sûr, pas sans vélos. Alors que le Tour de Corse résonnera plus pour les fans de 4 roues que de 2 roues, la course cycliste était un évènement amateur très populaire avant la Seconde Guerre Mondiale, lancé pour la première fois en 1920. Près de 32 ans aprés la course amateur n'est plus, les pros on enfin parcouru l'Île de Beauté.
Le plan visant à détourner les professionnels de leur confort continental était concocté par Henri Angelotti et Francis Ducreux. Quelque peu non-conformiste, Ducreux consacrera une grande partie de sa carrière post-course à l'organisation de courses en Afrique, tandis qu'Angelotti était un Corse, passionné par ce sport.
Ils ont commencé par organiser une course d'un jour autour de Bastia, en payant une petite fortune pour attirer des gens comme Merckx et un Anquetil vieillissant. Après une nouvelle édition couronnée de succès en 1969, ils lancent finalement le Tour de Corse deux ans plus tard, avec nul autre que Monsieur Jacques comme directeur de course.
Il s'agissait d'une course par étapes en début de saison, un peu comme le Critérium du Dauphiné, qui lui permettait de couvrir la quasi-totalité de l'île, visitant Ajaccio, Porto Vecchio et terminant au nord à Bastia. Il leur a fallu près d'une décennie pour attirer les grandes équipes comme Peugeot, mais une fois qu'elles l'ont fait, certains mécènes du cyclisme et la prochaine génération de Néo-pros sont venus écrire leurs histoires sur les routes sinueuses.
Parmi les coureurs Peugeot figurait le jeune néo-pro irlandais, Stephen Roche. Il était si jeune qu'avant la première étape, il était confondu par erreur par les commissaires pour le chauffeur de Robert Millar. Mais après avoir terminé troisième au G.P. de Cannes et deuxième au G.P. de Monaco, Roche était en train de s'assurer que tout le monde connaîtrait son visage assez tôt.
A Monaco, il avait reçu l'ordre de laisser son chef d'équipe Jean René Bernadeau remporter la victoire, de sorte que l'Irlandais était sûr de pouvoir défier en Corse, même sur un terrain chargé. Bernard Hinault, le jeune Greg Lemond et Laurent Fignon, tout aussi débutant, figuraient sur la liste des participants. Bien que son plus grand défi vienne peut-être de sa propre équipe ; Jacques Bossis, Michel Laurent et l'Australien Phil Anderson étaient tous des candidats viables pour la victoire.
Après deux étapes serrées lors de la première journée, l'étape clé pour Roche a été franchie le deuxième jour, d'Ajaccio à Porto Vecchio. Les Bossis ont attaqué tôt, gagnant rapidement une minute. Voyant une opportunité, Roche a décidé de sauter vers son coéquipier. A 120 kilomètres de l'arrivée, ils ont travaillé ensemble jusqu'à ce qu'il soit clair qu'ils allaient maintenir l'écart jusqu'à l'arrivée. Sachant qu'il allait prendre le maillot de leader, Bossis a permis à Roche de remporter la victoire sur la ligne, petit changement quant à ce qui s'était passé à Monaco quelques jours auparavant.
Une étape de routine à Bastia a été suivie d'un contre-la-montre décisif de dix kilomètres au Col de Teghime, situé sur l'épine dorsale de l'arête séparant Bastia de Saint-Florent. Avec Hinault en troisième position, mais toujours à une distance de frappe, Bossis craignait tout naturellement davantage le blaireau. Roche, cependant, avait plus à prouver et a grimpé plus de 40 secondes plus vite que Bossis pour remporter sa première victoire en tant que professionnel.
Si le monde des courses a raté sa victoire sur l'Île, l'Irlandais a scellé l'affaire avec une victoire au Paris-Nice deux semaines plus tard, assurant ainsi qu'à son retour en Corse l'année suivante, il était l'une des stars du peloton. Ce nouveau statut lui a permis de rappeler gentiment aux organisateurs qu'il n'avait toujours pas été payé pour une séance d'autographes de l'année précédente et qu'il se retirerait de la course si l'argent n'était pas reçu.
Ducreux a dû admettre : 'Ce type est le seul cycliste qui m'ait jamais fait chier dans mon pantalon'. L'argent a été payé rapidement.
Le vainqueur du contre-la-montre au Col de Téghime est Michel Laurent, devançant ainsi Hinault sur le podium.
Laurent a été le coureur le plus titré de l'histoire du Tour de Corse, terminant sur le podium à cinq reprises, un record, tout en le gagnant deux fois. En fait, il avait déjà terminé devant Hinault sur la Route de France et il était clair que le potentiel était là pour atteindre le haut niveau. Mais peut-être n'était-il qu'un coureur d'une semaine, ou peut-être n'avait-il pas l'instinct de tueur de Hinault et Roche. Quoi qu'il en soit, malgré des victoires à Paris-Nice et dans le Dauphiné, Laurnet n'a jamais réussi à faire une grande tournée.
De retour en Corse, cet instinct de tueur qui someille en Hinault s'est enflammé et une fois de plus, lors de la dernière manche de l'épreuve en 1982, le contre-la-montre du Col de Teghime a été critique.
L'histoire raconte qu'Henri Angelotti, dans son rôle de commisaire, sachant que Hinault était en retard sur Roche, est venu à ses côtés en criant 'Vas-y !' Hinault a senti une bouffée de victoire, s'est levé sur les pédales et a commencé son dernier effort avec plus d'un kilomètre à parcourir. D'autres coureurs ont essayé de le rattraper en réalisant la distance restante jusqu'à la ligne d'arrivée, mais Hinault était en feu. Il a tenu bon pour remporter l'étape par sept secondes et l'épreuve par cinq secondes.
Les troubles financiers ont finalement mis fin au Tour de Corse. Depuis lors, l'édition centenaire du Tour de France et le Critérium International ont attiré l'attention du monde entier sur l'île. Mais cette dernière n'existant plus, la Corse peut à nouveau se reposer.
Nous devons le remercier pour les histoires qu'il a racontées pendant que des carrières se forgeaient sur les routes sinueuses qui traversent cette montagne vers la mer. Mais il y a une tranquillité souvent difficile à trouver dans les endroits les plus populaires, ce qui nous amène à penser que c'est peut-être pour le mieux que tout ce cirque ne descend plus sur cette belle île. La laissant intacte pour que les autres la découvrent.
Pour en savoir plus sur les courses qui n’existent plus mais qui n'ont pas été oubliées, consultez notre série des Courses Disparues.